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cependant lui seul peut sauver la France ou du moins la préserver d’une ruine totale, ayant en son pouvoir le seul simulacre de force qui subsiste encore. Le royaume dépend de la tranquillité de Paris, et celle-ci est à beaucoup d’égards entre les mains de M. de La Fayette. On voudrait qu’il fût plus maître des troupes bourgeoises, que, non content d’avoir fait partir le duc d’Orléans, il cherchât les coupables avec plus d’ardeur et ne fût pas arrêté peut-être secrètement par la crainte de trouver parmi eux de ses amis ; on voudrait qu’il parvînt à procurer au roi la possibilité de sortir de Paris, afin qu’aux yeux de ses provinces il n’eût pas l’air d’un prisonnier. Enfin ceux qui connaissent le penchant de M. de La Fayette pour un gouvernement démocratique lui savent encore quelques relations avec un parti factieux et conservent de l’inquiétude. Quant à moi, je l’ai vu si pénétré de la nécessité de rétablir l’ordre, devoir que la générosité et la fidélité lui imposaient envers le roi, que je ne doute pas de lui. Le roi et ses ministres s’y livrent entièrement ; c’est une nouvelle raison de croire à M. de La Fayette : il n’eût certainement pas accepté une confiance qu’il eût voulu trahir. »


Cette dépêche du baron de Staël est remarquable à beaucoup d’égards. Elle le montre surtout très bien informé non-seulement des faits accomplis, mais encore des opinions et des tendances. Il est vrai que ce parti qu’il vient de qualifier sévèrement devait plus tard, au moins par quelques-uns de ses membres, se rapprocher de la cour, alors qu’il se verrait dépassé lui-même par des partis bien plus avancés ; mais, au temps où M. de Staël écrivait, c’était une gauche inquiète et menaçante. Mirabeau les juge de même que l’ambassadeur de Suède, lorsque, dans sa correspondance avec le comte de La Marck (le vrai guide pour qui veut pénétrer l’histoire des premiers temps de la révolution), il reproche à La Fayette son ancienne liaison avec ces pygmées dont l’active inaction, disait-il, pouvait imiter le bruit du tonnerre, mais ne le remplaçait pas. Et n’était-ce pas ce même Duport du Tertre, chef nominal du parti, qui, devenu garde des sceaux par l’influence des Lameth et interrogé par son collègue Montmorin sur l’attitude qu’il comptait tenir à l’endroit des complots annoncés contre Marie-Antoinette, répondait froidement, en 1790, qu’il ne se prêterait pas à un assassinat, mais qu’il n’en serait pas de même s’il s’agissait uniquement de faire le procès à la reine ? En jugeant avec rigueur ce parti au lendemain des journées d’octobre, le baron de Staël ne risquait pas de se séparer des esprits justes et clairvoyans, Sa dépêche est d’ailleurs fort curieuse à comparer avec le sixième chapitre de la seconde partie des Considérations, intitulé Des divers partis qui se faisaient remarquer dans l’assemblée constituante. Mme de Staël s’y élève de même contre le parti des aristocrates, qui trouvait ridicule, dit-elle, cette découverte du XVIIIe siècle, une nation, substituée à l’ancien par-