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qu’elle dit calomnié ; nous avons publié ici même cette dépêche signée de l’ambassadrice[1].

En dépit de cette partialité sur un point important, la correspondance officielle qui arrivait au cabinet de Stockholm était de nature à donner de justes idées sur les approches et sur la première marche de la révolution. Entre le hardi ministre qui avait invoqué la puissance à peine soupçonnée encore du crédit et appelé l’opinion au contrôle des finances — et la femme d’esprit et de cœur qu’animait aussi le vif et indomptable esprit du temps nouveau, l’ambassadeur n’était pas mal placé pour transmettre à son gouvernement une juste vue des grands spectacles auxquels il devait assister. Dès le commencement de l’année 1788, il signale de graves symptômes.


« 8 janvier. — Le fanatisme se donne tous les mouvemens imaginables pour empêcher l’enregistrement de l’édit du roi qui attribue les droits de citoyen aux non-catholiques. L’évêque de Dol osa vendredi dernier adresser à ce sujet au roi un discours qu’il termina par ces mots : « Vous répondrez, sire, devant Dieu et devant les hommes des malheurs qu’entraînera le rétablissement des protestans. Madame Louise, du haut du ciel où ses vertus l’ont placée, voit votre conduite et la désapprouve. » — Le prélat reçut là-dessus l’ordre bien mérité de se rendre immédiatement dans son diocèse. Ces tracasseries, l’état des finances et la situation de plusieurs grandes manufactures désolées par l’importation des denrées anglaises rendent la conjoncture actuelle obscure et pénible. »

« 13 janvier. — On assure que la reine s’est depuis quelque temps adonnée à la dévotion. Cette conversion est attribuée par les uns aux chagrins que sa majesté a subis l’année dernière, par les autres aux terreurs que les agitations fréquentes du bas peuple ont causées et au désir de recouvrer l’amour de la nation. »

« 24 avril. — Les commandans provinciaux ainsi que les intendans ont reçu ordre de se rendre à leurs postes. On travaille à l’imprimerie royale avec une grande activité, et toutes les avenues sont gardées afin d’empêcher que rien ne transpire. Il y a des raisons de croire qu’on verra d’ici à peu des changemens considérables. — On dit que les parlemens s’occupent de faire leur testament entre les mains de la nation. »

« 22 mai. — Dans l’assemblée récente du clergé, l’évêque de Blois a proposé de demander au roi la convocation des états-généraux. L’assemblée a nommé des commissaires pour prendre en considération cette importante affaire. »

« 28 mai. — Il est impossible de prévoir l’issue de la subversion presque générale qui se prépare dans ce pays-ci. »


Après avoir noté en juin et juillet les troubles du Dauphiné et ceux de Bretagne, M. de Staël revient aux mêmes prévisions. « On souffre ici du manque d’argent, de la cherté du blé ; l’autorité du roi est presque entièrement perdue par l’abus qu’en ont fait les

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1856.