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volontiers que l’empire moscovite, s’étant accru subitement, disparaîtrait non moins promptement, et qu’à la mort de Catherine un tel édifice succomberait, pour peu qu’une main habile y aidât. On se rappelait le profond ébranlement causé par la révolte de Pugatschev. En ce moment même, Catherine II, entraînée par sa guerre contre les Turcs, y avait consacré toutes ses forces ; Pétersbourg était presque sans défense : il suffirait aux Suédois d’un heureux coup de main pour s’emparer de cette capitale, après quoi les révoltes intérieures travailleraient pour eux. Tout n’était pas absolument faux dans ces calculs ; l’action combinée des Turcs et des Suédois parut en effet menaçante à Catherine II, qui n’y était pas préparée, et si Gustave frappait dans le premier moment de surprise quelque coup de vigueur, il pouvait embarrasser gravement l’impératrice.

La bataille navale de Hogland, où le frère du roi, Charles, duc de Sudermanie, se conduisit avec un grand courage, inaugura bien la première campagne. Déjà Gustave se préparait à enlever la place de Fredrikshamn, qui protégeait seule Pétersbourg ; mais le roi de Suède avait dans les rangs de sa propre armée ses plus dangereux ennemis. Les hostilités étaient à peine ouvertes, que les officiers de l’armée de Finlande osaient se réunir le 9 août 1788 pour écrire à l’impératrice. Se disant citoyens en même temps que soldats, ils déclaraient que la paix avec la Russie était le vœu de la nation suédoise, particulièrement des provinces finlandaises, et demandaient si la tsarine était disposée à traiter avec les états, quand ils seraient légalement assemblés à Stockholm. La réponse de Catherine II ne se fit pas attendre : elle savait distinguer, disait-elle, entre le roi et la nation. Il lui était très agréable d’apprendre quel était le sentiment de l’armée de Finlande ; il ne lui restait qu’à souhaiter qu’un grand nombre de citoyens se réunissent, avec lesquels, en observant les formes légales, il lui fût possible d’ouvrir une négociation et de régler les intérêts communs. Avant même que cette réponse fût arrivée, les officiers suédois, réunis dans le camp du général Armfelt, à Anjala, tout près de la frontière russe, avaient formé entre eux une ligue et adressé un manifeste à l’armée de Finlande ; ils conclurent finalement avec l’impératrice une trêve par suite de laquelle leurs régimens, gagnés à l’esprit de révolte, évacuèrent immédiatement le territoire russe.

Voilà par quelle basse trahison, en face de l’ennemi, au milieu des camps, cette noblesse dégénérée entendait se venger de son roi. Un parti nombreux dans Stockholm répondait à cet appel. Gustave, n’ayant autour de lui qu’un petit nombre d’officiers et de soldats fidèles, s’il n’était pas fait prisonnier par les Russes, devenait le captif de ses propres sujets. Sa situation paraissait désespérée