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pays doivent s’attacher à calmer les ressentimens de ce prince. Attachez-vous à suivre les progrès du mécontentement de la nation, à démêler surtout s’il y a quelque union entre les personnes qui se montrent le plus opposées au roi de Suède, et si elles ont des rapports avec des ministres étrangers. En voulant trop contrarier Gustave III, on peut le porter à désirer un nouveau changement dans la forme du gouvernement, et il ne manquerait pas de trouver des personnes disposées à lui en faciliter les moyens. »


C’étaient là des paroles prophétiques. La mauvaise humeur que lui causait son impuissance allait précipiter Gustave III vers le recours désespéré de l’absolutisme ; mais il devait traverser, avant d’arriver à cette faute dernière et fatale, de singulières vicissitudes, de nature à mettre en vive lumière toute l’inconsistance de ses vues politiques et en même temps toutes les ressources de son vif esprit. Le premier de ces épisodes, qui vont nous montrer dans Gustave III un Charles XII, est sa guerre de 1788 à 1790 contre les Russes. Il y était poussé par l’Angleterre et la Prusse, alliées depuis le récent avènement de Frédéric-Guillaume, successeur de Frédéric II. Le but général de la ligue anglo-prussienne était de tenir en échec la Russie et l’Autriche, en suscitant contre elles la Suède, la Pologne et les Turcs. L’Angleterre cherchait particulièrement l’occasion de se venger du secours prêté par la France aux colonies d’Amérique. Déjà, en mettant aux prises les Russes et les Turcs, elle avait causé un grand embarras à la France, amie de ces deux peuples ; elle essayait cette fois de nous nuire davantage encore en détournant de nous Gustave III. On sentit bien à Versailles d’où venait le coup, et l’on essaya de retenir le roi de Suède. Le supplément d’instructions qu’on donna au marquis de Pons, retournant à son poste de Stockholm le 22 juin 1788, contenait ces paroles sévères :


« Si tout ce que le roi de Suède tente et projette est le résultat d’un concert formé, avec l’Angleterre et la Prusse pour faire le plus grand mal possible aux Russes, le roi ne pourra plus regarder le roi de Suède que comme un ancien ami qui lui a manqué, dont sa majesté déplorera l’égarement, et à la ruine duquel elle ne pourra plus être à portée de mettre obstacle que par les motifs généraux qui lui imposent de prévenir les grandes révolutions en Europe. »


En dépit de ces avertissement, le roi de Suède n’avait pas dû résister longtemps aux instigations de la ligue anglo-prussienne. La Russie n’avait pas cessé d’être pour la Suède une voisine incommode et menaçante. En Finlande notamment, elle entretenait par ses intrigues un esprit de révolte d’où elle comptait faire naître des mouvemens séparatistes à son profit. Ces intrigues s’étendaient jusque dans Stockholm, où l’hôtel de l’ambassadeur russe était un