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l’idéal conçu par la nouvelle école païenne. De là au syncrétisme religieux qui s’étale dans tout son jour sous Alexandre Sévère, sous ce jeune élève de Julia Mammæa qui, avec l’autorisation de sa mère, place le Christ à côté d’Abraham, d’Orphée et d’Apollonius de Tyane, il n’y a qu’un pas à faire. Seulement il semble que dans l’esprit de Julia Mammæa le christianisme a plus de valeur encore qu’aux yeux de ses parentes. Une tradition sérieuse prétend que Mammæa avait mandé auprès d’elle le grand Origène pour l’entendre parler sur les choses religieuses, et nul plus que le théologien philosophe d’Alexandrie n’était en état de faire goûter les doctrines chrétiennes à la femme philosophe qui dirigeait l’empire. On a voulu qu’elle et son fils aient adopté secrètement la foi chrétienne. Cette supposition est démentie par les faits, mais il est certain qu’Alexandre Sévère, dans sa conduite, dans ses paroles, dans plus d’un acte de son gouvernement, se montra aussi favorable aux chrétiens que pouvait l’être un prince resté fidèle en principe au paganisme.

Ainsi de Julia Domna à Julia Mammæa le sentiment de la nécessité d’une réforme païenne valut au christianisme d’abord de la tolérance, puis certains égards mêlés d’une secrète jalousie, enfin il alla jusqu’à lui assigner une place légitime au grand jour, à côté des vieilles religions traditionnelles telles que le judaïsme et le paganisme. On dirait vraiment qu’Alexandre et sa mère établissaient entre Abraham et Jésus-Christ un rapport analogue à celui qu’ils voyaient probablement entre Orphée, le poète révélateur de la haute antiquité, et Apollonius, le réformateur moderne, le Christ grec, dont les enseignemens avaient récemment illuminé le monde.

L’évangile de Philostrate, car on peut vraiment désigner ainsi son livre, ne va pas encore aussi loin dans ce syncrétisme religieux. L’esprit aristocratique du Grec païen le domine encore, et Julia Domna, qui inspira ce récit, n’est pas encore aussi bien disposée pour la religion sortie du vieux sol de la Judée que le sera sa nièce Julia Mammæa. Si la réforme qu’elle rêve se réalise, le paganisme aura aussi son fils de Dieu, pur, irréprochable, dévoué et donnant à son enseignement la puissance qu’une manifestation concrète, une vie réelle peut seule communiquer à un idéal théorique. Cette réforme sera donc une religion positive, et non pas seulement une philosophie, et c’est pourquoi Apollonius, grand ami des philosophes, leur sera supérieur à tous, même à Socrate. Leur monothéisme rationnel se conciliera, moyennant l’interprétation symbolique, avec le polythéisme de la foule. Les légendes les plus absurdes seront abandonnées. Les sacrifices ne seront plus ni sanglans, ni impurs, et on y verra des hommages de soumission et