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démoniaque de Gadara. L’un et l’autre ne sont guéris qu’après un événement extérieur qui donne lieu de penser que le démon est bien réellement parti : pour l’un, des pourceaux ont dû se précipiter dans un lac ; pour l’autre, une statue a dû tomber sous l’impulsion du mauvais esprit battant en retraite. De même un autre possédé ressemble d’une manière frappante à l’enfant épileptique dont il est question dans les trois premiers évangiles. A Rome, Apollonius ressuscite une jeune fille dans des circonstances très semblables à celles qui entourent le rappel à la vie de la fille de Jaïrus : on peut même observer que les deux récits sont conçus de telle façon qu’un interprète scrupuleux a le droit de se demander si la ressuscitée était bien réellement morte. Des boiteux, des manchots, des aveugles, viennent en foule pour être guéris par l’attouchement de Jarchas, le chef des sages indiens, dont nous savons qu’Apollonius emporte avec lui la science et le pouvoir. Son apparition miraculeuse à ses amis Démétrius et Damis, qui croient d’abord voir un fantôme, fait penser, par la manière dont elle est racontée, aux apparitions de Jésus après sa mort, et, comme celles-ci, elle est supérieure aux lois qui régissent le mouvement des corps dans l’espace.

Assurément il ne faut pas exagérer cette ressemblance, comme si Philostrate eût toujours et partout subordonné ses goûts de rhéteur et d’artiste, son imagination et son amour du merveilleux bizarre, au soin de reproduire exactement et minutieusement la figure de Jésus-Christ ; mais tous les rapprochemens que nous venons d’énumérer seraient-ils fortuits ou imaginaires ? J’aurais d’autant plus de peine à le croire que d’autres indices permettent d’affirmer que, si Philostrate ne parle pas du christianisme, il y pense beaucoup, et que des formes, des traditions, des objections chrétiennes miroitent en quelque sorte devant sa pensée et déterminent fort souvent la forme où elle se produit. Apollonius ne ressemble pas seulement à Jésus-Christ, il doit aussi réunir plusieurs traits caractéristiques des apôtres. Comme Paul, il parcourt le monde de l’orient à l’occident, et comme lui il est victime de la tyrannie de Néron. Comme Jean, selon une tradition déjà formée de son temps, il est persécuté par Donatien. Il comprend et parle toutes les langues du monde, et par conséquent n’a rien à envier aux premiers disciples sous le rapport de ce qu’on appelait le don des langues. On l’accuse d’immoler des enfans dans des cérémonies mystérieuses : n’est-ce pas l’accusation que le vulgaire faisait peser sur les premiers chrétiens ? En Sicile, il a vu naître un monstre à trois têtes, et il en a conclu que les trois premiers successeurs de Néron, — Galba, Vitellius, Othon, — régneraient à la fois et fort peu de temps : c’est un vrai