Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spécimen plus concluant des traditions et des qualités communes à toute une école. Ajoutons que les voûtes de la chapelle où s’élève le tombeau du cardinal de Portugal sont revêtues de terres émaillées qui méritent d’être comptées parmi les meilleurs ouvrages de Luca della Robbia, et que d’autres ornemens de sculpture encore font de cette chapelle un véritable sanctuaire de l’art et du goût florentins dans la seconde moitié du XVe siècle.

Si le nom de Luca della Robbia, que nous venons d’écrire, ne rappelait qu’une innovation industrielle, que la découverte d’un procédé décoratif, il conviendrait aujourd’hui surtout de mesurer strictement l’éloge à l’importance du bienfait. Au milieu des admirations assez voisines de l’engouement et des sympathies plus qu’indulgentes qu’affiche notre temps pour le moindre plat modelé par Bernard Palissy ou pour les pièces de vaisselle dites faïences de Henri II, l’opinion qui attribuerait à la fabrication des terres émaillées florentines la valeur d’un événement principal dans l’histoire de l’art rencontrerait peut-être moins de contradicteurs que d’adhérens. Il convient toutefois de reléguer un pareil progrès parmi les faits secondaires pour apprécier dans les travaux de Luca della Robbia des mérites plus considérables, bien qu’avec lui déjà la sculpture entre dans une période où tout commence à incliner vers la décadence, où la grâce du style est bien près de dégénérer en mollesse, et l’étude délicate des choses en pure recherche de l’agrément. On ne saurait d’ailleurs rendre Luca della Robbia responsable des innombrables produits qu’on a mis sous son nom, par cela seul qu’ils continuent, quant aux apparences matérielles, la tradition qu’il avait fondée. Pendant plus de cinquante ans, son neveu, Andréa della Robbia, et les quatre fils de celui-ci exploitèrent avec une telle persévérance les procédés dont Luca leur avait légué le secret que, sur tout le territoire et même au-delà des frontières de la Toscane[1] il n’y eut guère d’église, de palais ou de couvent qui ne possédât quelque morceau sorti de leurs ateliers ou de leurs fabriques. De là tant d’œuvres

  1. Un des fils d’Andréa, Girolamo della Robbia, vint en France vers 1527 et orna de terres émaillées l’extérieur du château de Madrid dans le bois de Boulogne. Un autre, nommé Luca comme son grand-oncle, fut chargé par Léon X d’exécuter le pavement des Loges au Vatican. C’est avec l’aide de ce même Luca, dit-on, qu’Andréa fit pour la façade de l’hôpital de Pistole cette suite de bas-reliefs polychromes ou plutôt de tableaux sculptés qui représente les Sept Œuvres de la Miséricorde, travail méritoire à n’envisager que les efforts de talent qu’il a coûtés, mais faux dans son principe, désagréable dans ses résultats, puisqu’on prétendant faire la part égale entre la sculpture et la peinture, il n’aboutit qu’à les déposséder l’une et l’autre de leurs exactes ressources, qu’à exprimer une vérité figée, trop loin de la vie encore pour produire une illusion complète, trop près de la réalité cependant pour laisser deviner l’intervention de l’art et la main inspirée d’un artiste.