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les élémens de l’ordonnance diffèrent de ceux que résume ce programme. Presque partout les mêmes principes se reproduisent, les mêmes intentions se répètent quant au caractère général et à la signification morale de l’œuvre ; mais que de variantes partielles, quelle abondance, sinon d’invention, au moins de goût dans l’agencement et l’exécution des détails ! Quelle souplesse de sentiment en raison des souvenirs inhérens au nom de chaque personnage, en raison de l’âge, de l’importance sociale, des habitudes privées ou publiques de celui dont il s’agissait de consacrer la mémoire ! Lorsque Desiderio da Settignano et Rossellino érigeaient à la gloire de Carlo Marsuppini et de Leonardo Bruni les tombeaux magnifiques qui ornent l’église de Santa-Croce, ils mettaient leur travail en harmonie avec la renommée de deux érudits dont le front avait été couronné du laurier réservé aux grands poètes. Lorsque Mino da Fiesole sculptait à la Badia, plus de quatre siècles après la construction du couvent, le tombeau de celui qui en avait été le fondateur, de ce comte Ugo dont parle Dante, il entendait, par un mélange d’élégance et de simplicité dans le style, rappeler les souvenirs complexes, indiquer les deux faces d’une existence tour à tour brillante et cachée[1], comme, en regard de ce monument, il ornait avec une égale délicatesse, mais avec plus de sobriété encore, la sépulture d’un grave magistrat, d’un ambassadeur de la république, Bernardo Giugni, mort en 1466. Enfin, si abrégée que doive être ici la nomenclature des chefs-d’œuvre de l’art florentin, comment ne pas citer le monument élevé par Antonio Rossellino dans l’église de San-Miniato à la mémoire d’un jeune cardinal portugais, Jacques, mort avant vingt-six ans, et, nous dit l’épitaphe, « aussi illustre par son origine royale, aussi remarquable par sa beauté qu’exemplaire par la pureté de ses mœurs ? » Où trouver une expression plus doucement éloquente de l’innocence virginale, de la paix de l’âme et du corps, que celle de cette chaste figure livrée à la mort sans combat, dans la première fleur de la grâce et de la jeunesse ? Et comme tout ce qui environne tourne au profit de l’émotion que l’artiste a voulu produire ! comme tout l’accroît, la confirme, l’achève ! Bien que la composition générale ne s’éloigne pas ici des données ordinaires, bien que, suivant la coutume, des anges veillent au chevet du lit et voltigent, sous les rideaux de marbre, autour du médaillon d’où la Vierge et l’enfant Jésus abaissent leurs regards vers le mort, — il y a dans les détails de cette ordonnance comme une finesse et une grâce si particulières, si bien appropriées au sujet, qu’on accueille presque comme une révélation ce qui n’est qu’un

  1. Après avoir gouverné la Toscane au nom de l’empereur Othon II et avec le titre de vice-roi, Ugo abandonna aux pauvres ses immenses richesses et renonça au monde pour se consacrer au service de Dieu.