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S’agit-il de grouper de nombreuses figures sur les bas-reliefs de la chaire placée à l’extérieur de l’église de Prato, de modeler pour une des niches creusées dans les murs d’Or-San-Michèle, à Florence, cet élégant Saint George dont la grâce virile et la fine énergie résument mieux qu’aucune autre statue peut-être les caractères de l’art quattrocentista, faut-il enfin, en entamant à peine la pierre, en donnant tout au plus à l’image que le ciseau y dessine la mince saillie d’un camée, tracer quelque profil d’enfant ou de jeune femme, comme le San Giovannino des Offices ou comme la Sainte Cécile conservée à Paris, dans le cabinet de M. de Vendeuvre[1], — partout Donatello se montre aussi bien en garde contre l’abus des ressources pittoresques que contre l’exagération d’un purisme qui aboutirait à la banalité ou à la sécheresse. Il sait, en traduisant la vie dans ce qu’elle a de caractéristique et d’individuel, récuser les témoignages compromettans pour la dignité de l’art, comme il s’affranchit de certaines prohibitions systématiques qui en limiteraient trop étroitement les droits. Il use à la fois, en face du thème à interpréter, de circonlocutions délicates et de termes francs jusqu’à la rudesse ; il invente un mode de traduction complexe où le littéral et le recherché, le tour libre et l’imitation docile se combinent ou se succèdent avec une dextérité, avec une hardiesse incroyables ; mais, sous ces formes mélangées, je ne sais quelle secrète unité subsiste et se fait jour, je ne sais quoi de sincère, de puissant, de décidément inspiré, vient donner raison même aux bizarreries du style, si bien qu’au lieu de laisser celles-ci à part, on les accepte comme le reste, et que, loin d’être tenté d’y voir des fautes, on les admire presque comme des qualités de plus.

Quelquefois, il est vrai, le goût de Donatello pour tout ce qui implique un défi à l’esprit de convention et de routine peut dégénérer, dans la composition, en témérité, ou, dans la pratique, en véritable manie naturaliste. Le groupé en bronze placé sous une des arcades de la Loggia de Lanzi, à Florence, et représentant Judith et Holopherne, a ce tort grave de n’offrir au premier aspect qu’un amas déformes incompréhensibles, tant les lignes intérieures sont emmêlées, tant les contours qui devraient dessiner la silhouette apparaissent tourmentés, interrompus, déchiquetés par la multiplicité des angles saillans et des vides. Une figure en pied de Saint Jean-Baptiste, conservée dans la galerie des Offices, et la Madeleine qu’on voit dans le Baptistère de Florence ont au contraire des formes si grêles, si maladives, que cette imitation à outrance du réel finit par devenir invraisemblable, et qu’à force de

  1. Une répétition de cette charmante Sainte Cécile, ou plutôt de ce portrait d’une jeune fille appartenant, dit-on, à la famille Valori, existe à Londres dans la collection de lord Elcho.