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doute d’autres villes de la Toscane voient naître ou se former des sculpteurs dont les mérites ne sauraient être mis en oubli. Sienne surtout fournit à l’école du XIIIe et du XIVe siècles des disciples assez nombreux pour en augmenter l’activité[1], assez habiles pour être dignes de figurer dans une histoire développée de la sculpture à cette époque, et M. Perkins n’a eu garde de passer sous silence ces artistes diversement recommandables. Toutefois c’est de Pise que viennent les maîtres véritables ; c’est à Pise que la race des sculpteurs d’élite croît et se perpétue avec Nicolas, Jean et André, aux noms desquels il faudrait ajouter celui du fils d’André, Nino, le sculpteur attendri de tant de madonne col bambino, de cette douce Vierge à la rose, entre autres, que possède l’église de Santa-Maria-della-Spina. Il n’en sera plus ainsi désormais. Florence, qui, à l’exception d’Arnolfo di Lapo, n’a donné jusqu’ici ni à Nicolas lui élève tout à fait éminent, ni à Jean ou à André un rival, Florence va maintenant hériter de Pise ce monopole de l’art et du talent. Quant au reste, quant au fond même des principes, rien ne viendra démentir le passé. Pour avoir changé de théâtre, la pratique des enseignemens légués par Nicolas de Pise ne sera ni moins générale ni moins fidèle, et, loin de perdre de son influence, loin de rencontrer nulle part l’indifférence ou le doute, l’étude de l’antiquité, plus pieuse, plus intelligente que jamais, acquerra, sous des formes nouvelles, une autorité plus féconde encore et un crédit mieux assuré.


II

Parmi les causes qui ont le plus favorisé l’essor de la sculpture italienne et le plus contribué à ses progrès dans les hautes sphères qu’elle avait abordées dès le début, il faut compter la rigueur des conditions imposées aux tâches successives par les places mêmes, où ces tâches s’accomplissaient, la connexité nécessaire entre chaque œuvre et les lignes destinées d’avance à lui servir d’encadrement. A l’époque de la renaissance en effet, aussi bien que dans l’antiquité, la sculpture n’était que l’auxiliaire et le complément de l’architecture. Loin de se trouver ainsi gêné dans sa fonction ou offensé dans son orgueil, le talent empruntait de cette juste dépendance un surcroît de certitude, parce qu’il agissait non-seulement suivant un programme déterminé, mais avec l’épreuve préalable de la lumière qui éclairerait le travail, de la distance où il apparaîtrait, du point de vue où il serait envisagé. On ignorait

  1. Cicognara constate, d’après un acte du temps, que vers le milieu du XIIIe siècle il y avait à Sienne soixante « maîtres tenant boutique de sculpture, » c’est-à-dire soixante artistes sculpteurs reconnus et patentes.