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Beethoven et à une cavatine de Bellini, ou, dans l’ordre littéraire, promener une admiration imperturbable du Cid de Corneille au Tancrède de Voltaire, voire à l’Aristomène de Marmontel ! Mais laissons là ces méprises ou ces paradoxes sans influence actuelle sur l’opinion. L’essentiel est bien moins de signaler les erreurs commises que d’appeler la lumière sur les vérités que nous avons commencé d’entrevoir. Cherchons donc à poursuivre nos récens progrès en ce sens, et, sans essayer d’attenter à la gloire du plus grand sculpteur de la renaissance, tâchons de n’être ni ingrats ni injustes envers ceux qui l’ont précédé.

Michel-Ange d’ailleurs n’est-il pas tout naturellement un génie hors de cause, un de ces initiateurs souverains dont il serait aussi superflu d’entreprendre le panégyrique que de prétendre critiquer les défauts ? Comme Dante, comme Shakspeare, il s’impose à l’admiration tout entier. Il est parce qu’il est grand par l’excès de ses audaces aussi bien que par sa science prodigieuse et par l’intraitable vigueur de sa pensée, défiant à la fois l’éloge et le blâme, les procédés d’examen ordinaires et jusqu’aux moindres essais d’analyse, forçant enfin ceux qu’auront pu déconcerter d’abord ses bizarreries ou ses violences à se soumettre et à se laisser entraîner sans rien discuter de la domination qu’ils subissent, sans s’étonner même de la subir. Est-ce une raison néanmoins pour répudier toute autorité, toute action, en dehors de cette glorieuse tyrannie ? Un livre récemment publié en Angleterre a le mérite de rappeler notre attention sur les prédécesseurs de Michel-Ange et de nous retracer l’histoire de la sculpture italienne avant la dernière phase de la renaissance, sans incertitude quant aux renseignemens biographiques, sans lacune dans la nomenclature des œuvres. Peut-être la méthode d’exposition adoptée ici réduit-elle un peu trop, au profit de la chronologie et de l’érudition pure, la part des aperçus critiques ; peut-être, en face d’un pareil sujet, le vieux précepte, scribitur ad narrandum, non ad probandum, s’imposait-il moins qu’ailleurs comme un devoir unique pour l’historien. Nous aurions donc souhaité que, sans renoncer à son rôle de narrateur, l’auteur des Tuscan Sculptors se fût moins habituellement interdit les considérations générales et les développemens d’où pouvait résulter pour nous, à côté de la notion des faits, la démonstration de quelque vérité esthétique, la solution de quelque question de doctrine ou de foi. Quoi qu’il en soit, en consacrant la plus grande partie de son ouvrage à la description des monumens de la sculpture toscane au XIII siècle et pendant les deux siècles suivans, en nous donnant des informations détaillées sur des maîtres dont les noms étaient à peine connus de beaucoup d’entre nous et les travaux oubliés ou ignorés plus généralement encore, M. Charles