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charmant où revivent les mœurs, les travers, les ridicules, mais souvent aussi, et plus qu’on n’est porté à le croire, les grâces honnêtes de l’ancienne société. Dans la première moitié du XVIIIe siècle par exemple, aux vingt premières années du règne de Louis XV, les écrivains du théâtre, bien qu’assez indifférens en général au grand mouvement des idées nouvelles, au mouvement d’innovation et d’agression représenté par Montesquieu et Voltaire, penchent plutôt du côté de la résistance. Témoins et peintres des mœurs publiques, ils montrent que le fond de la nation, même en ce temps corrompu, valait mieux qu’on ne le pense d’ordinaire. N’est-ce donc pas au milieu des hontes de la régence et de Louis XV que sont nés plusieurs des types les plus aimables, les plus aimés de l’ancien art français ? Il y a plaisir à les voir reparaître sur la scène de nos jours, soit qu’ils réveillent pour le public les souvenirs un peu effacés de notre histoire littéraire, soit que, transformés par l’habileté des interprètes, ils nous permettent de mesurer les progrès accomplis, progrès d’hier devenus un engagement pour aujourd’hui et dont il serait honteux de déchoir.

Tel est précisément le double intérêt que nous offre cette curieuse pièce de la Métromanie, reprise il y a quelques jours au Théâtre-Français avec un succès du meilleur aloi. Les lettrés seuls connaissent la Métromanie ; le grand public, le public de plus en plus mélangé qui ne connaît guère que les choses courantes, a tout au plus le souvenir de ce titre singulier. La surprise a donc été assez vive quand on a vu cette verve d’écrivain unie à des sentimens si honnêtes, parfois même cette fraîcheur d’accens, ce souffle d’enthousiasme, et tout cela signé d’un nom suspect, tout cela en pleine débauche de Louis XV, je veux dire au lendemain des vers trop séduisans du Mondain, et onze années avant la prédication de Jean-Jacques. La critique même la plus initiée aux secrets de notre histoire pourrait s’étonner à bon droit ; il est évident que la pièce représentée l’autre jour au Théâtre-Français vaut mieux que la pièce imprimée et connue seulement du lecteur. Le jeu du principal interprète y ajoute manifestement quelque chose. Ce n’est pas en vain que M. Delaunay a représenté les juvéniles figures d’Alfred de Musset. Le souffle de la poésie printanière du XIXe siècle a passé, grâce à lui, dans l’œuvre inégale de Piron pour la transformer et la rajeunir.

Il manque bien des choses en effet à ce chef-d’œuvre de Piron. Il y manque ce qui manque à la vie même de l’auteur, unité, conduite, caractère. Regardez au fond de cette bonne humeur, tout y est trouble et incertain. La littérature est chose sérieuse, même en ses joyeusetés, c’est la recherche du beau par le bien et le vrai. Que représente Piron au XVIIIe siècle ? Absolument rien. Est-ce un philosophe ? un ami de la tradition ? Est-ce un penseur ou un poète ? Est-ce un peintre de mœurs, un artiste amoureux de son art, un lettré passionné pour les lettres ? C’est un homme d’esprit qui ne sait que faire de son esprit, un homme de verve rapide qui prodigue sa