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tation de M. Drouyn de Lhuys contre les arrangemens de Gastein. Nous savons bien ce qu’on dira de ce document : c’est une indignation théorique, c’est un blâme platonique. Une sanction pratique fait défaut à cette revendication du droit, à cette condamnation d’une politique arbitraire et injuste. Voilà que la diplomatie française se met à imiter cette intervention querelleuse qui se contente de mots et ne veut point passer à l’action, intervention qu’elle a trouvée si ridicule chez la diplomatie anglaise dans les affaires de Pologne et de Danemark. Ce que lord Russell faisait avant l’événement, nous le faisons après ; voilà toute la différence. En politique, les plaintes répressives qui doivent rester au simple état de plaintes ne valent pas mieux que les plaintes préventives qui ne doivent point être suivies par l’action. — Cette critique railleuse, nous le reconnaissons n’est point sans portée ; mais elle n’est point complètement juste. Il y a dans la politique internationale une chose plus regrettable et plus puérile encore que de ne point exiger la réparation d’un tort : c’est de dévorer l’offense en feignant qu’on l’ignore. La France peut, quand cela lui convient, réserver sa liberté d’action ; mais elle se manquerait à elle-même, si elle n’osait exprimer son jugement sur des actes qui blessent la morale internationale et peuvent troubler l’ordre européen.

L’occasion actuelle ne serait point d’ailleurs sans profit pour la France, si elle obligeait notre gouvernement à considérer de haut l’état des affaires allemandes. Il faut que l’on ait chez nous cette idée bien présente à l’esprit : c’est que les intérêts de l’équilibre continental aujourd’hui, de même qu’aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, ne se peuvent décider qu’en Allemagne. Quiconque a un peu d’histoire de France dans l’âme doit comprendre que l’état de l’Allemagne et les combinaisons de forces qui s’y constituent ne peuvent nous être indifférens. Si nous tournions le dos à l’Allemagne, si nous y laissions prévaloir les associations et les plans qu’y pourrait former l’accord de la Prusse et de l’Autriche soutenu dans le lointain par l’alliance prépondérante de la Russie, nous courrions risque de devenir par rapport aux affaires de l’Europe transrhénane ce qu’est aujourd’hui l’Espagne par rapport aux affaires transpyrénéennes. Et il ne faut point que notre amour-propre, complice, de notre nonchalance, se révolte contre une pareille hypothèse ; nous ne pouvons nous contenter de nous écrier avec un béat optimisme : Cela est impossible ! Oui, cela est impossible, si nous ne désertons pas notre propre cause, si nous suivons avec vigilance les affaires, germaniques, si nous sommes assez courageux, assez fidèles, assez énergiques, pour ne pas laisser dépérir dans nos mains les immenses ressources morales que le génie de la révolution française nous a données ; mais cela est malheureusement possible, si, énervant en Europe par notre propre inertie l’action des principes libéraux et démocratiques, nous abandonnons à une politique d’ancien régime la combinaison des forces de l’Allemagne. L’alliance et la solidarité des intérêts et des forces contre-révolutionnaires