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possible, il importe, faute de reproducteurs parfaits eux-mêmes, d’éviter d’accoupler des chevaux ayant l’un et l’autre les mêmes défauts, parce que ceux-ci se retrouveraient infailliblement à un degré plus grand encore dans le poulain. Ainsi y si le père et la mère sont un peu trop hauts sur jambes, le poulain le sera encore davantage et peut-être au point d’être difforme ; pour les qualités morales, c’est la même chose, comme nous le prouve Vertugadin, qui serait, au dire des sportsmen, un de nos meilleurs chevaux de trois ans, s’il n’avait pas hérité de ses parens un si mauvais caractère.

Je laisse aux philosophes le soin d’expliquer comment des qualités morales peuvent se communiquer chez les chevaux, puisqu’ici on ne peut faire valoir l’argument de l’exemple et de l’éducation, dont on se sert quand il s’agit des hommes. Dans l’espèce humaine, cette transmission est incontestable, et personne n’ignore que certaines aptitudes et même certains sentimens se transmettent avec le sang ; mais les circonstances extérieures agissent sur nous de tant de façons diverses que nos dispositions naturelles peuvent s’en trouver profondément modifiées, et qu’il n’est pas rare de voir les enfans trahir les vertus ou les qualités physiques de leurs ancêtres. L’organisation aristocratique, par exemple, avait bien pour objet de créer en quelque sorte une race spéciale d’hommes mieux doués que les autres, et nous savons les résultats qu’elle a donnés. Chez les animaux au contraire, moins soumis aux causes de perturbation qui agissent sur les familles humaines, l’hérédité se manifeste avec assez de persistance pour qu’on puisse fixer les qualités d’une manière permanente, et ces qualités sont d’autant mieux enracinées qu’elles viennent de plus loin. Ainsi les sportsmen ne s’informent pas seulement des qualités spéciales des parens immédiats de leurs chevaux, mais ils veulent connaître leurs ancêtres à un degré très éloigné, ils tiennent un grand compte de la noblesse et de l’antiquité du sang, et sont plus disposés à payer cher un cheval qui compte Éclipse et Godolphin parmi ses aïeux, quoique ses parens directs aient été ordinaires, qu’un autre dont le père aura gagné nombre de prix, mais dont l’origine est relativement obscure. Il en est même beaucoup qui font plus de cas de la noblesse que de la perfection des formes, et l’expérience paraît leur donner raison. Il y a un proverbe anglais qui dit qu’une once de sang vaut mieux qu’une livre d’or. Cependant les formes ont une importance capitale, puisqu’après tout ce sont elles qui donnent le mouvement.

Si l’on voulait apprécier l’influence relative de la race et de la conformation, on pourrait comparer le cheval a une machine à vapeur où la race jouerait le rôle du combustible et la conformation celui des organes de la machine. Si le combustible est insuffisant, le