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haleine, s’embranchent et s’enchevêtrent autour d’une historiette dont le début nous remet en mémoire la malheureuse Blanche Darley. Comme ce personnage de la Saison, la belle Mary ***, s’est promenée tout un printemps au bras d’Hubert Wardour en tout bien, tout honneur, ainsi que cela se pratique, à ce qu’il parait, lorsque le jeune amoureux, retenu par le sentiment de sa pauvreté, n’ose prononcer le mot d’hymen ; mais, l’heure de la séparation venant à sonner, nos deux jeunes gens, laissés seuls pendant quelques minutes et cédant à une irrésistible émotion, sont tombés dans les bras l’un de l’autre. Ce baiser fiévreux, qu’un bruit de pas interrompt, engage l’action et noue le drame. Hubert, rentrera Londres, y reçoit, quelques semaines plus tard, un billet de miss Mary ; qui lui fait timidement pressentir son prochain mariage. « Formez quelques vœux pour mon bonheur, afin que nulle amertume ne trouble ma joie… — Si mes vœux peuvent avoir la moindre influence sur vos destinées, votre avenir conjugal sera prospère, lui répond-il aussitôt ; mais je le crois en grand péril, s’il dépend aucunement des souhaits qu’un étranger peut adresser au ciel. » Là-dessus, avec un geste de mépris il scelle sa lettre… et va dîner, sans se douter le moins du monde que cette amourette esquissée au passage, et après tant d’autres, puisse lui tenir autrement au cœur. Mary elle-même n’a pu le soupçonner en lisant les trois ou quatre billets qu’il a cru devoir à leurs pathétiques adieux. Elle a répondu sur le même ton, et l’herbe pousse déjà sur la verte allée de leur naissant amour. Pourtant, accoudée à son balcon pendant les nuits d’été, ce n’est point à son fiancé que rêve la jeune fille : sir Gilbert, le riche baronnet, n’a aucune place dans ces longues méditations où parfois elle sent frémir ses lèvres, comme effleurées par elles d’un fantôme importun, d’un indiscret souvenir. Aussi, libre de toute influence, elle se refuserait à l’hymen qu’on lui propose ; mais les prières, les gronderies, les obsessions de tout ordre usent peu à peu sa résistance, dont le vrai motif est à peu près soupçonné par sa mère. Qu’objecter d’ailleurs à sir Gilbert ? Il a trente-cinq ans au plus, sa santé n’a point trop souffert, il manie le fleuret avec une rare distinction et se connaît en vins comme en escrime. Ce n’est point un lettré de premier ordre, mais il nommerait sans hésiter l’auteur d’Othello. Ses agrémens personnels ne lui permettent pas de rivaliser avec Adonis, mais ses attelages sont irréprochables. Donc le mariage est convenu, et Mary, accompagnée de sa mère, vaque aux emplettes de son trousseau, lorsque ces dames, venant à rencontrer Hubert, l’engagent poliment à renouveler sa visite. Trois semaines au plus doivent s’écouler avant la noce, on peut donc sans danger faire acte de courtoisie. Ainsi raisonne