Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont pris pour candidat au gouvernement de l’état le colonel Fletcher, l’homme même qui est chargé de les défendre contre l’expédition du général Price, les copperheads ont choisi Thomas Price, homonyme et parent du général. N’est-il pas évident que le but qu’on se propose est la réunion en un seul des deux gouvernemens, celui des démocrates constitutionnels et celui des sudistes insurgés ? Les ennemis du dedans donnent la main à ceux du dehors. les unionistes le savent et s’en vengent en traitant comme traître quiconque fait une résistance légale à leur politique. A la trahison ils opposent la force, et si vivement qu’on le regrette, on ne peut leur en faire un crime.

16 septembre.

Hier soir, deux meetings devaient avoir lieu à Saint-Louis en même temps et à quelques pas de distance, l’un pour la nomination d’un Fletcher-Club en face du café Guénaudon, l’autre en faveur de Mac-Clellan et de Price, en face de l’hôtel Lindell, où je demeure. Vers huit heures, la musique, la grosse caisse, les pétards, les cris, les fusées, m’attirèrent à la porte, et je vis qu’on faisait les préparatifs de l’assemblée : les feux de joie, les feux d’artifice des deux partis se faisaient concurrence et tâchaient de s’éclipser mutuellement. A gauche s’assemblait une foule républicaine, à droite une foule démocrate. Les orateurs montaient déjà sur l’estrade au milieu des bannières, des transparens et des lanternes. Je fis quelques pas, et je me trouvai devant le restaurant Guénaudon. L’obscurité était grande, mais à la lueur d’une guirlande de lanternes vénitiennes je pus voir sur la terrasse un groupe d’hommes assis. L’un d’eux se leva, et d’une voix tonnante (les Américains, habitués à parler dans les rues à des multitudes bruyantes, crient toujours à tue-tête) accusait les traîtres et les déloyaux. « On ne peut pas dire, s’écriait-il, qu’on n’ait pas de liberté de parole dans un pays où je viens de rencontrer, se rendant librement à leur assemblée séditieuse, tous les rebelles les plus détestables de la ville. » Tout à coup une grande clameur éclate, je retourne en hâte à l’hôtel Lindell. Je cherche des yeux les orateurs, l’estrade, la lampe électrique : tout avait disparu. La foule, dispersée, silencieuse, frémissante, s’écoulait lentement par les rues latérales ; je voyais partout errer les uniformes et briller les baïonnettes. On se pressait contre les murailles comme dans l’attente de la fusillade ; au milieu de la rue, je pouvais voir, à la lueur, mourante d’un feu de joie, un tumulte auquel je ne comprenais rien. C’étaient peut-être de bruyantes manifestations d’enthousiasme ; mais que signifiaient ces coups de poing, ces coups de pierre, ces crosses qu’on voyait s’élever et s’a-