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que de faire mouvoir les petites marionnettes de bois qui animent le premier plan.

On me présente à plusieurs gros bonnets de la ville : chacun m’invite à aller boire au cabaret (take a drink). Le drink est le fondement de la politesse de l’ouest ; Il joue ici le même rôle que le calumet des Indiens et la chibouque des Ottomans. Une fois cette formalité remplie, l’homme de l’ouest bannit de ses manières tout le superflu des complimens et des conventions sociales. Quand on l’insulte, il en tire une vengeance simple et pratique ; il attend son ennemi au coin d’une rue pour le rouer de coups, quelquefois même, si l’injure est grave, pour lui tirer son pistolet par derrière. Ce n’est pas un spectacle extraordinaire à Saint-Louis que de voir deux hommes « respectables » mettre habit bas et se colleter publiquement. La chose faite, on remet froidement son habit et l’on passe ; voilà comment se vident ici les affaires d’honneur !

14 septembre.

J’ai renoncé à tout voyage dans le Kansas. D’après les renseignemens que j’ai recueillis, entre les Indiens et les guérillas, il y aurait grand danger de n’en pas revenir. Il est vrai que, si les Indiens tuent, les guérillas se contentent souvent de voler. Ces gentlemen ont à peu près les mêmes mœurs que leurs confrères bourboniens du royaume de Naples ; mais il ne serait pas agréable d’être dépouillé de toute chose et laissé nu sur une route.

L’état de ce pays-ci est vraiment déplorable, et les habitans de l’est, dans leur tranquille sécurité, ne se le figurent pas. Je ne m’étonne pas de voir les passions sourdement excitées au milieu des horreurs qui se commettent des deux parts. La loi martiale, qui règne dans les border-states, y est devenue une nécessité ; le gouvernement militaire n’en est pas moins un gouvernement détestable, surtout celui de l’armée américaine, puissance indépendante et anarchique, sur laquelle le pouvoir exécutif n’a pas de prise, ni l’opinion publique de contrôle. Une poignée de soldats peut faire ainsi la loi à des populations entières et commettre impunément des excès dont le seul récit aurait autrefois soulevé l’indignation de tous. Les exécutions militaires ne sont qu’un jeu. Un officier subalterne va saisir un citoyen, le jette en prison, le fait fusiller sans forme de procès. L’autre jour, au Kansas, exécution inexplicable et inexpliquée d’un brave agriculteur unioniste, fidèle à toutes les réquisitions, à toutes les taxes. Les journaux républicains eux-mêmes étaient révoltés. Une courte note au bas d’une page, voilà toute la réparation, voilà tout le châtiment des meurtriers. La semaine dernière, un fou vient à l’état-major de l’armée de Saint-Louis dire