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et désolent impunément le territoire. La politique sert de prétexte à leurs brigandages. Ils ont pour chefs des officiers de l’armée du sud, qui reçoivent des ordres du gouvernement confédéré. Celui-ci s’avoue franchement leur complice, et la trahison, qui est partout, ferme les yeux sur les crimes qu’elle a soudoyés. Les Indiens, soulevés par les missionnaires que le sud leur envoie, font cause commune avec les brigands patriotes. Enfin les habitans de certains districts ne les regardent pas en ennemis. Les journaux sont pleins du récit de leurs crimes ; ils attaquent et pillent les bateaux à vapeur du Bas-Missouri, et les poursuivent à coups de carabine quand ils ne peuvent s’en emparer. Les bords mêmes du Mississipi ne sont pas à l’abri de leurs ravages. Le passager qui descend le fleuve entend souvent dans les villages le tambour battre l’alarme, et voit s’assembler tranquillement la milice, accoutumée à ces alertes. Jeudi, un vieillard fut tué dans sa maison sans défense, parce qu’il était union-man. Samedi, un cavalier, passant sur une route déserte, fut abattu à coups de fusil. On ne sait en quoi il avait déplu aux rebelles. Les bushwachers, qui d’ordinaire pillent indifféremment les deux partis, maintiennent leur rang de brigands politiques en tuant çà et là quelque homme pauvre et inoffensif. Enfin les vengeances personnelles profitent de la guerre civile : on cite des villages divisés contre eux-mêmes, où l’on se massacre de porte à porte avec une incroyable férocité. Quant aux représailles, on se les imagine. La semaine dernière, à la suite d’un meurtre publiquement commis, le général Rosecrans imposa, au profit des païens de la victime, une amende de 10,000 dollars aux habitans des comtés de Cooper et de Boone, pour les punir de leur tolérance criminelle et de leur habituelle complicité. Voilà la justice incomplète et sommaire dont il faut se contenter en ce pays. Quelquefois la justice elle-même prend les formes de l’assassinat, et je pourrais citer plus d’un meurtre militaire qui ne mérite pas d’autre nom. La ville même de Saint-Louis n’est pas sûre : on fait sauter les poudrières, on incendie les steamers amarrés le long du fleuve ; on a trouvé l’autre jour une machine infernale dans un magasin militaire. Vous voyez quelles passions fermentent encore dans ce pays, qu’on croit pacifié !

On ne les voit pas au premier coup d’œil : ces hommes qui mutuellement se détestent semblent vivre dans une harmonie fraternelle. Nulle séparation visible, nulle horreur apparente, nuls dehors haineux et provocateurs ; mais si par hasard la conversation tombe sur la politique, tous les regards deviennent sombres et tous les visages altérés. Il se forme un cercle d’auditeurs muets et impassibles qui semblent avoir pris le parti de se taire ; quelques-uns parlent à voix basse et semblent effrayés de leur opinion. On sent que