Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tenter de nouveau la fortune, il lui faudrait une invitation solennelle de l’Angleterre, pareille à celle qu’elle avait adressée jadis au roi Guillaume. Se croyant d’ailleurs toujours obligé au train d’une maison presque royale, et privé cependant, — par suite de ses démêlés avec son frère, le cardinal d’York, et la comtesse d’Albany, sa femme, — d’une partie des subsides qui lui avaient été alloues, il invoquait de tout venant une intervention auprès de la cour de France et du saint-siège, et excitait, à vrai dire, la pitié par le contraste de sa misère avec le souvenir de son origine. « Le comte d’Albany, écrit Adlerbeth, s’est efforcé d’attirer l’attention du comte de Haga. Ce personnage vit à Florence avec un éclat qui dépasse ses ressources. Il a donné de grands dîners auxquels il nous a conviés. Agé de soixante-trois ans, il est décrépit, courbé, ne marche qu’à peine, et conserve si peu de mémoire qu’en un quart d’heure il répète toutes les mêmes choses. Sur ses tristes vêtemens de chaque jour, il ne manque pas de porter le ruban bleu, et, quand il est en cérémonie, le manteau de la Jarretière avec le ruban au genou, la façade de son hôtel porte l’écusson d’Angleterre surmonté d’une couronne royale. Il parle avec feu des épisodes de sa jeunesse, avec fermeté de ses malheurs, avec ressentiment de la conduite de la France… » Gustave écrivit en sa faveur à Louis XVI, que Charles-Edouard avait déjà fait solliciter par le chevalier Des Tours, et à Charles III d’Espagne ; bientôt, se trouvant à Rome, il intervint directement aussi auprès du cardinal d’York et du pape. Ses efforts ne furent pas inutiles, car il obtint qu’un divorce régulier séparât enfin le prétendant et la comtesse d’Albany, et qu’un accommodement pécuniaire vînt augmenter les ressources du malheureux prince. Il y avait ici d’ailleurs, indépendamment du renom qu’une négociation de ce genre pouvait lui conquérir, un avantage particulier que briguait le roi de Suède : en échange de ses bons offices, il obtint du prétendant, grand-maître de la franc-maçonnerie, d’être par lui reconnu comme son coadjuteur et son successeur éventuel ; nous verrons plus tard de quelle manière Gustave comptait mettre à profit un semblable héritage. Quant à l’amie d’Alfieri, elle quitta Rome pour venir se fixer en France. Tout le monde sait la place qui lui fut réservée dans la société parisienne ; elle y rencontra Mme de Boufflers et Mme de Staël, et entretint, elle aussi, avec Gustave III une correspondance dont M. de Reumont a donné de curieux fragmens.

À Rome, Gustave III remplit un double personnage, en se donnant d’abord comme un des fondateurs de la liberté religieuse et ensuite comme un royal protecteur des arts. — Dès le lendemain de son arrivée, le 25 décembre 1783, jour de Noël, il se hâta d’aller