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les commissions galantes de Gustave III, furent auprès des deux cours ses premières protectrices, et Mme de Boufflers, entre toutes, se donna mille peines, avec des façons de duègne vers la fin, pour le faire réussir ; le comte de Creutz, ambassadeur de Suède à Paris, après s’être maintes fois apitoyé sur le sort du baron quand il le voyait s’endetter à plaisir en vue du succès, finit par s’employer pour le faire nommer secrétaire et par le désirer même comme son successeur à Paris. Gustave trouva son avantage à introduire auprès de la cour de Versailles un ambassadeur à qui une si riche alliance donnerait du crédit, et auprès de la société parisienne une ambassadrice déjà renommée pour son esprit ; les correspondances diplomatiques expriment d’ailleurs cette pensée qu’il entrait dans les vues du roi de Suède d’attirer un jour dans son royaume la fortune ainsi conquise. M. et Mme Necker se tinrent satisfaits d’obtenir pour leur fille un titre de noblesse et des entrées à la cour. Pour ce qui est de la fiancée, qui devait être Mme de Staël, personne ne s’en occupe, à vrai dire, dans toute la correspondance relative à cette négociation, excepté l’excellente Mme de Boufflers, quand elle écrit naïvement à Gustave III que, si cette jeune femme avait eu l’esprit un peu moins gâté, elle aurait essayé de la former par ses leçons aux belles manières.

La fille de M. Necker, qui avait déjà révélé sa nature enthousiaste et sa vive intelligence, et qui avait vingt ans, a-t-elle seulement voulu, en acceptant ce mariage, complaire à son père bien-aimé, comme elle s’était sérieusement offerte naguère à épouser le gros Gibbon, pour que M. Necker eût toujours auprès de lui ce causeur agréable ? ou bien a-t-elle été séduite, elle aussi, par le seul désir de paraître à la cour et de se faire un grand nom ? Il y a là un problème littéraire et moral, dont la solution ne s’offre pas d’elle-même. La réponse est à chercher sans doute dans le célèbre chapitre du livre De l’Allemagne où se trouvent des plaintes éloquentes sur cette légèreté de mœurs de la fin du XVIIIe siècle qui avait dénaturé le vrai sens du mariage, ou peut-être aussi dans la curieuse page où Corinne parle des divers prétendans qui s’offrirent à elle. L’un d’eux, ce seigneur allemand qui occupait un rang élevé, lui inspira d’abord de l’estime, et puis elle s’aperçut avec le temps qu’il avait peu de ressources dans l’esprit. Quel mari pouvait répondre à l’idéal qu’une Corinne avait rêvé ?

Nous ne savons pas qui inventa le premier cette combinaison ingénieuse qui destinait Mlle Necker à devenir le gage d’un accord nouveau, entre la France et la Suède par son mariage avec n’importe quel diplomate suédois représentant à Paris le roi Gustave. M. de Staël ne fut pas tout d’abord le candidat élu, mais c’était