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1789 a été réfutée dans la Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck, et par le témoignage de Mme Campan elle-même, qu’on avait faussement invoquée Nous verrons, il est vrai, le comte de Fersen se dévouer dès les premiers périls de la révolution, puis chercher avec ardeur, pendant la captivité du roi et de la reine, les moyens de les sauver. Ce dévouement nous paraîtra chevaleresque et sincère ; nous pourrons bien y distinguer la trace de premières et jeunes émotions préparant, pour le temps du malheur, un sentiment de pitié active ; mais nous ne trouverons nulle part, ni dans plusieurs sources encore inédites, ni dans les documens imprimés, la preuve que ce sentiment ait cessé jamais d’être respectueux.

En même temps que Fersen et Stedingk, un autre Suédois, d’un nom qui allait devenir célèbre, hantait la cour de France avec la ferme résolution d’y faire une brillante fortune : c’était M. de Staël-Holstein. Une première inspiration l’avait conduit à s’engager, lui aussi, dans la guerre d’Amérique : il voulait alors se distinguer et acquérir de la gloire ; mais ayant réfléchi, il avait reconnu que c’était là, pour aller à son véritable but, un chemin détourné, long et périlleux, que le plus sûr et le plus court était de ne pas partir, de demeurer à Paris ou à Versailles, c’est-à-dire sous les yeux du roi son maître ou du moins là où était son cœur, de l’y servir suivant ses goûts, et de s’élever en s’attachant à ce service ; Nous ne réélirons pas en détail, l’ayant jadis racontée ici même[1], la curieuse histoire de son rapide avancement : sa nomination, de par un traité formel accepté de Gustave III, comme ambassadeur de Suède en France à perpétuité, et son mariage avec Mme Necker, condition formelle du traité. Peu de diplomates ont jamais conduit une affaire intéressant les cabinets et les peuples avec autant de constance d’habileté et de bonheur que M. de Staël en eût à diriger la négociation où il avait engagé toutes ses espérances de fortune. Il lui fallut cinq ou six ans, il est vrai, depuis le mois de juin 1779, où nous trouvons dans ses propres lettres à Gustave III, conservées à Upsal, la première trace de son dessein, jusqu’au 14 janvier 1786, jour de la bénédiction nuptiale ; mais on doit se rappeler qu’il était parti de loin, puisque, au moment même où il commençait de prétendre au plus opulent mariage, Creutz écrivait de lui : « Le pauvre Staël est dans une situation qui fait pitié ; il n’a pas un sou vaillant ! » Insensiblement et avec une adresse merveilleuse il sut engager tout le monde dans cette seule affaire de la riche alliance qu’il convoitait. Les grandes dames de la cour de France, auprès desquelles il avait commencé de gagner du crédit en faisant

  1. Revue du 1er novembre 1856.