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devoir et mon attachement pour votre majesté ne me retenaient aux lieux où je suis. » Ne fut-il pas vraiment un des nôtres, par le cœur et par l’esprit, ce brave général comte de Stedingk, qui écrivait si bien notre langue et qui battait gaîment les Russes ?

Stedingk avait pour ami intime à Paris et à Versailles son compatriote, le célèbre et malheureux comte Axel Fersen, celui qu’on appelait le beau Fersen, comme on disait le beau Dillon. Il était, lui aussi, de noble naissance, non point sans doute qu’on doive ajouter foi aux inventeurs de généalogies qui le font descendre des Mac-Pherson d’Ecosse, comme ils donnent pour premier aïeul à une autre famille suédoise, celle des Fleming, le consul romain Titus Quinctius Flamininus. L’illustration était ici toute moderne, mais éclatante : le père d’Axel était ce fameux comte Frédéric-Axel Fersen, chef éloquent de l’ancien parti français ou des chapeaux en Suède, et constant inspirateur, sous Gustave III lui-même, d’une opposition libérale. La fortune, l’intelligence, les talens, l’élégance extérieure et la beauté même paraissaient héréditaires dans les diverses branches de cette famille. La sœur d’Axel, Sophie Fersen, inspira au plus jeune frère de Gustave III, le duc Frédéric, une passion ardente et sincère ; ce prince la demanda en mariage, et ne se consola pas de son refus. Axel avait pour tante la belle Charlotte-Frédérica Sparre, comtesse de Fersen, qui avait été admirée à Paris, où on l’appelait « la charmante rose » au temps de l’ambassade du comte de Tessin, et pour qui Fontenelle, à quatre-vingt-dix ans, avait écrit de jolis vers. Il avait enfin pour cousines Ulrica et Augusta Fersen, celle-ci mère des deux frères Löwenhielm, dont l’aîné, Gustave, ministre de Suède en France de 1818 à 1856, a laissé dans notre société parisienne un souvenir si respecté. — Après avoir étudié à Strasbourg et à l’académie de Turin, fort célèbre alors, Fersen entra dans le régiment de Royal-Bavière et vint à la cour de France, où il fut présenté, comme Stedingk, sous les auspices de Gustave III. De retour en Suède après ce premier voyage de France et d’Angleterre, on le voit briller, auprès du roi son maître, dans les nombreuses fêtes de Gripsholm et d’Ulricsdal, et son nom paraît aux premiers rangs dans les programmes qui nous restent de ces élégantes journées. Représente-t-on à la cour de Suède le 24 février 1776 la foire de Saint-Germain, — le voici qui, déguisé en jockey anglais, fait exécuter cent tours à un cheval savant. Deux mois après, il paraît avec sa sœur dans la Rosière de Salency, où tous deux font partie du ballet des « pâtres et pastourelles, » pendant que leur père, le sénateur, figure comme « un voisin du lieu, » et que leur oncle Charles, grand-veneur, représente « le bailli. » Il se retrouve encore, au mois d’août suivant,