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après le fait accomplie Stedingk avait connu Louis XV, et il se plaisait à rappeler l’étonnement que lui avait causé le scandale d’une grande revue, près de Versailles, dans laquelle le vieux roi à cheval fit défiler les troupes devant la calèche dorée de Mme Du Barry mais c’est, auprès de Louis XVI et de Marie-Antoinette qu’il trouva surtout un excellent accueil. Nommé lieutenants colonel au service de France en 1776 et à peu près en même temps colonel de cavalerie en Finlande, il fut introduit à la cour de France grâce aux recommandations personnelles de Gustave III, et il sut s’y faire promptement une place à part dans le groupe fort en vue qu’y formaient ses compatriotes. « Tous nos Suédois, écrit le comte de Greutz le 7 mars 1779, réussissent, ici au-delà de toute expression. On les trouve instruits, aimables et de la meilleure compagnie : on m’a demandé récemment si le roi choisissait ceux à qui il permettait de venir en France… ; M. de Stedingk l’emporte sur tous les autres, Mmes de La Marck, de Boufflers, de Lauzun, de Luynes, de Fitz-James, de Brancas et de Luxembourg, ne peuvent plus se passer de lui… »

Stedingk voulut mériter davantage encore cette faveur en prenant part à la guerre d’Amérique de concert avec la noblesse française, avec le duc de Lauzun, les marquis de Coigny, de Talleyrand-Périgord, de Vaudreuil, de La Fayette, les comtes de Noailles, de Ségur, de Vauban, Du Houx de Vioménil, etc. Commandant une brigade d’infanterie, il partit en 1779 sur la flotte du comte d’Estaing et se distingua plusieurs fois à la tête de nos troupes. La flotte avait fait voile d’abord vers Rhode-Island et forcé les Anglais à lever le blocus de New-York ; mais le comte d’Estaing changea ensuite de plan et se porta sur l’île de Grenade, où il débarqua trente mille hommes. Le comte d’Estaing, d’une grande valeur personnelle, voulait conduire lui-même l’assaut de la forteresse. Il forma son corps en trois colonnes, celle de droite commandée par le comte de Noailles, celle de gauche par ce malheureux Dillon, dont la belle tête devait tomber quelques années plus tard sur l’échafaud, — il avait dès lors un pressentiment de cette mort prochaine, et s’en ouvrit plusieurs fois à son ami Stedingk ; celui-ci commandait la colonne du centre, et il a vivement raconté dans sa correspondance toute cette victorieuse campagne contre les Anglais, à laquelle il prit une part fort brillante. Lorsqu’ensuite le comte d’Estaing résolut la funeste expédition de Savannah, en Géorgie, ce fut contre l’avis de Stedingk, qui y fut blessé. Cela ne l’empêcha pas de veiller à la retraite. « Les cris des mourans me perçaient le cœur, écrivait-il à Gustave III le 18 janvier 1780 ; je désirais la mort et je l’aurais trouvée peut-être, s’il n’avait fallu songer à sauver quatre cents hommes arrêtés dans leur retraite par un pont rompu. » La cour et le public lui firent un