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pas. — Pardonnez-moi, sire, répondit l’ambassadeur, le roi mon maître m’a ordonné de vous suivre partout. » M. de Tessin, son gendre, ambassadeur, de Suède en France, lui aussi, n’était pas moins spirituel, lorsque, rapportant cette réponse dans ses mémoires, en 1757, il ajoutait : « Un mot comme celui-là ne tombe pas à terre dans un pays tel que Versailles ; aussi est-il encore de nos jours en l’air. » — Ces Suédois étaient parmi nous tour à tour diplomates et capitaines. Leur nation avait combattu avec la nôtre pendant la guerre de trente ans, et maintes fois sous Louis XIV ; la guerre de sept ans, puis, sous Louis XVI, la guerre d’Amérique, mêlèrent encore leurs volontaires à nos soldats. Un des régimens dits étrangers qui s’ajoutaient aux cadres de l’armée française, longtemps commandé par un colonel et des officiers de cette nation, avait pris le nom de régiment Royal Suédois : on voit dès lors figurer dans ses rangs presque tous les grands noms de la noblesse du Nord. — Diplomates, officiers, hommes de cour, ces jeunes Suédois, parés de la beauté franche et ouverte de leur race, très braves à la guerre, très épris de la France, intelligens, sincères, spirituels, brillèrent dans le Versailles rajeuni du règne nouveau, justifiant chacun à son tour ce que naguère Saint-Simon avait si bien dit d’un de leurs prédécesseurs à la cour de France : « Toujours le cœur français, des plus galans et des mieux faits qu’on pût voir, avec l’air le plus doux et le plus militaire. »

Trois noms surtout, parmi ceux des Suédois accueillis à Versailles pendant la première partie du règne de Louis XVI, sont mêlés presque également à l’histoire de Gustave III et à l’histoire de la France.

Le comte de Stedingk, trop peu connu aujourd’hui en France, a montré, dans les rangs de nos armées, dans les salons de Versailles, puis en Suède même contre les ennemis de son pays, un noble caractère. Né dans la Poméranie suédoise en 1746, la même année que Gustave III, et petit-fils par sa mère du célèbre feld-maréchal prussien comte de Schwerin, tué devant Prague, Curt de Stedingk est mort seulement en 1837, plus que nonagénaire. le service lui offrant en Suède peu de ressources pour l’avancement, il obtint un grade en France, dans le Royal-Suédois, en 1766. De sous-lieutenant devenu en quatre ans capitaine, il se trouvait en garnison à Strasbourg quand Gustave III fit sa révolution du 19 août 1772 ; c’était chose si bien prévue en Europe que le baron de Trenck, dans son Journal de Trêves, en publia la nouvelle dès les premiers ; jours du mois d’août. Aussi l’adresse de félicitation partie de Strasbourg avec les signatures de Stedingk et de ses camarades parvint-elle à Stockholm, par un singulier à-propos, quelques minutes seulement