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élever ce poids, un moteur de la force de six chevaux : or l’expérience montre que la force d’un homme ne peut être évaluée qu’à un quart de cheval ; on est donc loin de compte. Pour s’élever dans l’air, il faudrait que l’homme, à force égale, pesât vingt-quatre fois moins qu’il ne pèse.

Cependant bien des inventeurs, séduits par l’exemple de l’oiseau, ont essayé de se construire des ailes pour voler. Des expériences hardies ont même été faites, et quelques-unes, à en croire la tradition, ont été couronnées d’un demi-succès. Il faudrait contrôler de près le récit de ces tentatives. Dans toutes celles dont la relation paraît authentique, les expérimentateurs se sont précipités d’un lieu élevé et ont pris terre après une descente plus ou moins longue. Évidemment nous n’avons pas à tenir compte ici de ce résultat, que plusieurs aéronautes ont atteint avec des fortunes diverses, depuis Olivier de Malmesbury et Dante de Pérouse jusqu’au marquis de Bacqueville et à Mlle Garnerin. Ce n’est point là voler, c’est descendre en parachute. Il y a aussi une réserve importante à faire : quand on estime en chevaux la force d’un moteur, on admet qu’il agit d’une façon continue et dans des conditions normales. Toute machine peut, pendant quelques instans, produire un effort de beaucoup supérieur à sa force nominale ; l’homme aussi peut concentrer dans un instant très court des efforts considérables. Que certains expérimentateurs aient pu ainsi voleter pendant deux ou trois secondes, on l’admettra sans difficulté ; mais on aurait tort d’en conclure que l’homme, quelque engin qu’il emploie, puisse espérer, avec sa seule force, s’élever dans l’atmosphère.

On a fait grand bruit des résultats obtenus par Blanchard, qui, vers 1780, avant l’invention des montgolfières, cherchait à s’élever à l’aide d’appareils plus lourds que l’air. Blanchard fit publiquement de nombreux essais dans le jardin d’un grand hôtel de la rue Taranne à Paris. Il avait construit un bateau volant où il se plaçait au bas d’un grand mât de 80 pieds de hauteur. Une corde attachée à la nacelle montait jusqu’au haut du mât et redescendait, portant un contre-poids de vingt livres. Blanchard, dit-on, faisait mouvoir les ailes de son bateau à l’aide de leviers, de cordes et de poulies de renvoi, et, sans autre aide que celle du contre-poids, il s’élevait à l’extrémité supérieure du mât. Or Blanchard et son appareil ne pouvaient guère peser moins de deux cents livres. M. de La Landelle, en comparant ce nombre et celui qui exprimait la valeur du contre-poids, conclut que Blanchard, avec sa seule force musculaire, enlevait cent quatre-vingts livres sur deux cents, qu’il avait donc réussi dans sa tentative à un dixième près, ou, suivant une expression ingénieuse, qu’il « volait aux neuf dixièmes. » Hélas ! non. Les personnes que