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du moi en face même de Dieu et de l’éternité. L’église anglaise intervient encore dans les enterremens, et pourtant elle ne croit pas depuis longtemps à l’efficacité des prières pour les morts. À quoi bon alors, dira-t-on, offrir ses services ? C’est surtout un honneur qu’elle rend au défunt. Il est d’usage dans certaines campagnes que les fermiers accompagnent les funérailles à cheval, recouverts de longs manteaux noirs et le chapeau décoré d’ornemens de crêpe. Ces processions, ces sombres cavalcades, pour mieux dire, produisent un effet extraordinaire entre les haies vives bordées de houblon sauvage et d’aubépine en fleur ; elles passent lentement et en silence. Les visages sont tristes, mais résignés, car l’Anglais se soumet fièrement à ce qui est irréparable. Cependant la cloche tinte de moment en moment dans la tour de l’église. À l’arrivée du cortège devant la grille du cimetière, les fermiers descendent de cheval, et bientôt le sable de la grande allée crie sous les grosses bottes des mourners (personnes qui suivent le deuil), ainsi que sous les pas lourds et mesurés de ceux qui portent la bière. On s’avance ainsi vers l’entrée de l’église, où le ministre se tient debout et la tête découverte pour recevoir le cercueil. Le service des morts, qui commence aussitôt, a été institué pour instruire et pour consoler les vivans. La voix du psalmiste les avertit qu’ils sécheront un jour comme l’herbe des champs, que l’homme, ombre vaine, marche un instant sur la terre, et qu’il sème des richesses sans savoir qui les récoltera. Ces premières images ne nous entretiennent que de notre néant ; mais une leçon extraite des épîtres de saint Paul fait bientôt luire sur cette nuit du sépulcre un rayon d’immortalité. Du reste aucun chant, nulle tenture funèbre, rien de ce qui peut frapper les yeux ou l’imagination ; c’est toujours le même culte immatériel, qui s’adresse à la foi ou à l’intelligence. Le cortège quitte alors l’église et se dirige à la suite du ministre vers la partie du cimetière où la tombe a été creusée d’avance. Des planches en bordent et en consolident l’ouverture. En face de cette « bouche ouverte, qui engloutit l’une après l’autre les générations humaines, » le prêtre continue de réciter quelques sentences mélancoliques. « Au milieu de la vie, s’écrie-t-il, nous sommes dans la mort. » Puis, au moment où quelques pelletées d’humus tombent avec un bruit sourd et intermittent sur la bière descendue au fond de la fosse, il prononce les paroles suivantes d’une voix solennelle : « Nous confions ce corps à la sépulture, la terre à la terre, la cendre à la cendre, la poussière à la poussière, avec l’espérance certaine de la résurrection à une vie immortelle. » Les parens et les amis du défunt s’avancent alors vers la charpente de bois pour jeter un dernier regard à ce cercueil que la main du fossoyeur va recouvrir : c’est l’adieu de l’éternité. Pendant ce temps-là, le ministre se retire,