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quelques excuses en rougissant. Un pasteur avait un squire qui n’assistait jamais au service religieux ; il lui offrit un jour de prier pour lui devant toute la congrégation. « Et pourquoi cela ? demanda le gentilhomme étonné. — Parce que, répondit le recteur, vous ne priez jamais vous-même. » On ne dit point si la menace fut assez forte pour vaincre, la résistance du rebelle squire.

Cependant l’église s’ouvre : l’intérieur se distingue par une extrême simplicité ; ni statues, ni tableaux, pas même l’image de la croix. Il y a des races qui croient par les yeux ; la famille anglo-saxonne récuse au contraire l’intervention des sens dans la pratique des devoirs religieux. Elle se défie des entraînemens de la beauté extérieure, et, selon l’expression même d’un des premiers réformateurs, elle ferme les yeux et les oreilles aux grâces perfides de la sirène. Ce que les protestans anglais reprochent le plus à nos églises catholiques est de ressembler, disent-ils, à un théâtre. Les anciens édifices ont donc été purifiés dans la Grande-Bretagne des traces de la superstition, c’est-à-dire dépouillés des images qui les encombraient. La sévère nudité des ogives appuyées à temps égaux sur de robustes piliers n’est tempérée dans certains cas que par la joyeuse couleur des vitraux peints et par quelques plaques de cuivre curieusement gravées indiquant la place d’antiques sépultures. Ces vieilles églises ont été pendant un temps des espèces de nécropoles ; aussi Charles Dickens prétend-il qu’elles sentent le mort et qu’on y éternue en respirant à plein nez la poussière des générations éteintes. Tel n’est pourtant pas le fait dans la plupart des campagnes, où par la porte ouverte entre au contraire pendant l’été une douce odeur de prairies et de foins coupés. Le protestantisme, en greffant sa liturgie sur les anciens édifices catholiques, a modifié la disposition des bancs, pews, qui envahissent ici presque toute l’église et convergent surtout vers la chaire, pulpit. À ce premier trait, qui ne reconnaîtrait tout d’abord une religion fondée en grande partie sur le culte de la parole ? Les bancs, enfermés dans des compartimens de bois, sont distribués pour l’année aux diverses familles de la paroisse par les church-wardens (officiers civils de l’église). L’Anglais aime à être chez lui, même dans la maison de Dieu ; aussi était-ce autrefois l’habitude de s’isoler par groupes ou par famille au moyen de rideaux qui masquaient la vue des personnes. Ce système d’individualisme et de séparation, combattu par quelques membres du clergé, a heureusement disparu de la plupart des églises britanniques. Un autre caractère qui frappera sans doute à première vue les étrangers est l’absence de l’autel. On l’a remplacé par la table de la communion ; mais aux yeux des protestans la communion n’est point un sacrement, c’est un symbole. L’abolition de la messe a été partout le point de départ de la réformation