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quelle réalise chez elle les libertés que la révolution de 1789 lui a promises, il faut que par son exemple et par sa propagande elle crée en sa faveur une vaste et profonde diversion morale au sein des états qui reprennent le jeu périlleux des alliances d’ancien régime.

Tout le monde est d’accord que, si en 1863 la France et l’Angleterre se fussent unies avec une confiance mutuelle dans un commun effort, l’affaire des duchés eût reçu une solution plus équitable, et l’on eût prévenu la pensée même des alliances qui se sont formées depuis en Allemagne. Il serait oiseux de récriminer, sur un passé fâcheux ; il suffit pour le présent qu’il soit démontré qu’il n’y a rien de juste et de rassurant à attendre dans la politique européenne que de l’entente des deux puissances occidentales. C’est cette pensée qui semble présider aux courtoisies échangées en ce moment entre les marines de France et d’Angleterre. D’ailleurs la coïncidence est curieuse : c’est lorsque les deux plus puissans souverains d’Allemagne viennent de cimenter leur union par des arrangemens qui blessent à la fois l’équité, envers le Danemark, envers les duchés et envers la confédération germanique, que la France et l’Angleterre se montrent l’une à l’autre leurs escadres cuirassées et réunissent dans un esprit d’amitié cordiale ces engins de guerre qu’elles n’eussent pas même eu besoin d’employer pour calmer efficacement, il y a trois ans, l’effervescence germanique et pour s’épargner le désagrément que des négociations de Gastein et l’entrevue de Saltzbourg doivent aujourd’hui causer à chacune d’elles. Ces fêtes navales de Brest et de Portsmouth offrent un autre contraste plus agréable à l’esprit. Ces terribles escadres cuirassées sont nées d’une émulation, d’une rivalité naturelle centre la France et l’Angleterre, elles étaient le moyen d’attaque ou de défense que chacune des deux nations préparait contre l’autre. Aussi, pendant qu’on les construisait, quelle surveillance des deux côtés et quelle jalousie ! Que de controverses sur l’excellence de tel ou tel modèle de vaisseau, sur la force des armures, sur la puissance des canons ! Quels rêves se dressaient devant l’imagination quand on se représentait le choc épouvantable de ces navires, l’explosion des canons monstrueux, le craquement des plaques épaisses ! La première action de ces vaisseaux créés et mis au monde pour s’entre-détruire est au contraire de servir de décor et de théâtre à de joyeuses fêtes internationales ! Nous ne leur demandons point quant à nous d’autres services ; ils ont coûté cher, sans doute, et, comme on l’a montré récemment ici, l’expérience de la guerre des États-Unis ne permet guère de croire qu’ils jouent longtemps le rôle d’instrumens efficaces dans la tactique navale ; cependant ni la France ni l’Angleterre n’auront à regretter les dépenses que leur a imposées ce luxe naval, si elles ont le bonheur de n’employer jamais leurs vaisseaux de fer que comme des yachts de plaisance et des salles de danse où se rétablit gaîment l’entente cordiale.

La nouvelle Italie est un exemple Instructif du bien que peuvent produire la France et l’Angleterre quand elles s’intéressent à une même cause