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gnement qu’elle donne sur la situation générale de l’Europe. La pièce a été curieuse sans doute : elle a eu tout d’abord et elle a conservé jusqu’au bout l’air d’un anachronisme. Après le fait accompli, on en est réduit à répéter un aveu que l’on a eu souvent ; l’occasion d’exprimer depuis quelques années : nous ne pensions pas que ces choses fussent possibles de notre temps ! — Eh bien ! oui, cela est encore possible de notre temps, et cela devrait nous engager à nous préoccuper de ce qu’est en effet notre époque. L’escamotage des duchés peut nous aider à comprendre certains faits de l’histoire, et nous rendre plus indulgens par exemple pour nos pères, qui ont laissé faire le partage de la Pologne, si nous ne voulons point être trop sévères envers nous-mêmes. On ne se figurait pas, il y a quelques années, que l’Europe, au point de vue des frontières des divers états, fût encore en voie de formation ; on pensait du moins que, si la carte devait être remaniée, c’était sous l’influence de certaines aspirations d’indépendance nationale et de certains principes de liberté politique. Il nous semblait que notre siècle eût ainsi donné son empreinte à la politique internationale : la configuration des états, leur extension ou leur diminution nous paraissaient devoir être la conséquence de la lutte engagée entre les principes anciens et les principes modernes, entre les idées de légitimité et de conservation et les idées de liberté et de nationalité, entre l’ancien régime et la révolution. La question était posée dans ces termes par les gouvernemens conservateurs aussi bien que par les partis libéraux. Ces gouvernemens avaient relevé leur cause d’une prétention de doctrine ; ils s’appelaient, en face de la propagande révolutionnaire, la sainte-alliance. Aussi les accidens de la lutte entre la révolution et l’ancien régime depuis 1815, si douloureux qu’ils aient pu être parfois, ont été moins surprenans pour l’esprit moderne que le présent épisode des duchés de l’Elbe. Quand à la suite des congrès de la sainte-alliance l’Autriche envahissait l’Italie ou la France entrait en Espagne, on ne voyait là que les conséquences naturelles de l’immense duel engagé en Europe. La contre-révolution abusait de ses forces et commettait des usurpations iniques ; mais on connaissait du moins son ennemi, et l’on attendait du prochain triomphe révolutionnaire la réparation de ses injustices, Ce qu’une victoire contre-révolutionnaire avait accompli au point de vue des arrangemens territoriaux, une victoire révolutionnaire pourrait le détruire. La politique prussienne dans les duchés rompt pour nous cette habitude d’esprit ; le coup de partie de M. de Bismark nous fait sortir de notre siècle.

C’est bien en effet, et sous tous les aspects, un échantillon de l’histoire politique du XVIIIe siècle que nous venons de voir. Ici aucun intérêt de haute doctrine sociale et politique, aucune maxime de droit, n’ont été mis en avant par le facile vainqueur. Le gouvernement prussien n’a eu en vue que son intérêt, et s’est servi de prétextes si futiles et si promptement désavoués par lui-même qu’il n’a dû son succès qu’à son adresse et à l’imbécillité des autres états européens, La Prusse brûle d’étendre son terri-