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premiers actes qui ont fait sa force ; mais d’un autre côté, il ne faut pas s’y tromper, il a aussi sa faiblesse secrète, la faiblesse de toutes les combinaisons qui ne reposent pas sur un ensemble coordonné de principes, qui vivent par une large satisfaction d’intérêts personnels, par un ralliement perpétuel d’adhésions éparses, et finissent par se réduire aux proportions d’une coterie. L’union libérale, qui a trouvé là son écueil une première fois, qui a péri par là, n’est pas sans être menacée encore d’être envahie par cet esprit de coterie. Elle a, elle aussi, ses historiques ou sa cohue de prétendans qui revendiquent les emplois, qui crient lorsqu’on ouvre les rangs aux travailleurs de la onzième heure. Les choix de l’union libérale témoignent manifestement quelquefois d’excellens sentimens de famille. Les ministres, comme ce bon maire de France qui trouvait que M. le préfet ne pouvait être mieux représenté que par son gendre, les ministres se disent qu’ils ne peuvent être mieux représentés que par leurs frères. Il reste à savoir si on va loin par ce chemin. Si le général O’Donnell se laissait aller à cet esprit, il rencontrerait bientôt devant lui une opposition dont on peut déjà distinguer les élémens, à laquelle il s’occupe lui-même de donner des chefs, — sans compter l’opposition de ses adversaires naturels et toute cette agitation de partis, de fractions de partis, acharnés à se disputer la prépondérance, au risque de sentir à tout instant le sol s’effondrer sous leurs pieds.

Qu’est-ce donc que le ministère actuel ? C’est évidemment une halte entre des crises qui se succèdent ; mais ce n’est évidemment que Cela au milieu d’une situation qui sous une apparence de calme matériel reste livrée à d’incessantes perturbations. Au fond, il n’y a point à s’y méprendre, l’Espagne est dans un de ces états presque indéfinissables où la veille encore on dit qu’une révolution est impossible, parce qu’on n’aperçoit pas un but précis, et où le lendemain, lorsqu’elle a éclaté, on se demande comment elle n’est pas arrivée plus tôt, parce que tout le monde y travaillait. Je ne veux point dire assurément que cet état, si grave qu’il paraisse lorsque les crises deviennent plus aiguës, que cet état soit sans remède. L’Espagne possède sans doute en elle-même tous les élémens d’un développement moral et politique régulier, comme elle a tous les élémens de fortune matérielle, comme elle a enfin tous les élémens d’une puissance extérieure proportionnée à sa situation, à ses intérêts, et à ses ambitions légitimes ; mais ce qui est vrai aussi, c’est que les hommes, les partis, ont à secouer bien des préjugés, bien des illusions, bien des passions, dont la trace est visible dans la politique contemporaine, et qui ne sont point étrangères aux crises actuelles. Ils ont à se pénétrer tout d’abord de cette vérité d’où découlent toutes les autres, qui éclate dans l’histoire la plus récente, —