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cracia. M. Emilio Castelar avait écrit, sous le titre d’El Rasgo, un article d’une véhémence singulière sur le don que la reine venait de faire de son patrimoine pour aider le trésor dans ses détresses. C’est là le prétexte. Aussitôt le ministère, s’armant de sa circulaire du 28 octobre, voulant à tout prix atteindre le professeur dans le journaliste, se hâte, non-seulement de déférer l’article aux tribunaux, ce qui était tout simple, mais encore de provoquer une procédure académique conduisant à la suspension d’abord, puis à l’exclusion définitive de M. Castelar. Le recteur de l’université de Madrid, homme de sens et de rectitude, qui a longtemps enseigné le droit, M. Montalvan, se dit que les cas pour l’exclusion des professeurs sont prévus, légalement précisés, que M. Castelar n’est point visiblement dans un de ces cas, et il élude. De là emportement du ministère, brusque révocation du recteur lui-même, et remplacement de M. Montalvan par un autre recteur, le marquis de Zafra, appelé de Grenade. C’est ici que tout se complique et se précipite. Au premier moment, les étudians de Madrid, prenant parti pour leur recteur destitué, veulent donner une sérénade à M. Montalvan, et cette jeunesse n’agit pas vraiment trop en étourdie : elle se met en règle avec l’autorité publique, elle demande une autorisation, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que l’autorisation est accordée, — pour être bientôt retirée, il est vrai. Voilà justement où le ministère aggravait un danger qu’il avait d’ailleurs créé lui-même. Avait-il agi simplement avec légèreté en permettant une démonstration publique ? Ne s’était-il arrêté et ne se mettait-il en défense que parce qu’il avait vu que sous cette ovation d’étudians se cachait une manifestation politique, que c’était une occasion attendue par les passions extrêmes ? Toujours est-il qu’offrir le spectacle de ces fluctuations, de cette action saccadée, donner une autorisation pour la retirer au dernier moment, c’était aller au-devant de la nécessité de réprimer, assigner un rendez-vous à tous ceux qui ont le goût de l’agitation, laisser s’allumer le feu pour l’éteindre ; c’était, pour tout dire, renouveler quelque chose des incidens du 24 février 1848 à Paris avec la confiance d’être plus heureux.

Et ce qui devait arriver arriva en effet. Le 7 avril, le jour fixé pour la sérénade, la foule se pressait dans les rues de Madrid. Ce soir-là cependant il n’y eut rien de grave, rien, si ce n’est des cris, des huées et des attroupemens bientôt dissipés ; mais les esprits se montaient et s’échauffaient visiblement. Deux jours après, le 10 avril, à l’occasion de l’installation du nouveau recteur, la démonstration recommençait plus nombreuse, plus animée, plus hostile, quoique la multitude fût sans armes. Cette fois les choses se passèrent moins pacifiquement. Ce n’était pas un conflit sans doute, c’était ce que les Espagnols appellent une asonada, une série de