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pas tout : à côté des délits multipliés et énumérés avec un luxe inquiétant, il y avait un autre genre d’infractions, les fautes, qui, elles aussi, passaient sous le droit commun, c’est-à-dire sous l’arbitraire commun d’un gouverneur ou d’un simple alcade pouvant infliger sommairement, administrativement, des amendes de 400 à 2,000 réaux. On était décidément en progrès, et il y avait bien de quoi rassurer M. Nocedal et les modérés purs en simplifiant, en éclairant la situation.

Ce n’était pas, je le crois bien, de la part du général Narvaez un système prémédité ; c’était plutôt le réveil d’une nature qui s’embarrasse aisément au milieu des difficultés, qui a pris l’habitude de les trancher par la répression ou par la force, et qui ne peut arriver à se transformer. Placé entre deux politiques, l’une de libéralisme, l’autre de réaction, le général Narvaez avait bien vu tout d’abord avec les lumières de son esprit que la première seule était possible, qu’elle répondait à une nécessité, et c’est là l’explication des actes qui avaient signalé le commencement de son ministère ; par instinct inavoué, par passion, il cédait à la seconde. L’excitation du pouvoir le ramenait à la lutte, à la résistance. Au fond, l’année 1848, avec ses souvenirs d’émeutes domptées, de factions dispersées, d’ordre vigoureusement maintenu, est restée pour lui l’idéal du gouvernement, un idéal que le moindre obstacle ravive, et c’est là d’un autre côté l’explication de ses entraînemens aussi bien que de ses embarras dans des circonstances qui n’étaient plus les mêmes. Une fois sur ce terrain, ce n’était plus de la politique, c’était la guerre ; mais, la guerre une fois acceptée ou provoquée, c’était inévitablement la réaction à outrance dans le régime intérieur, la continuation des expédiens dans les finances ; en d’autres termes, c’était se hasarder, sans possibilité de retour, dans une voie où le ministère allait attester son impatience et son impuissance par ces deux faits, qui révèlent sa politique sous un double aspect : — les événemens d’avril 1865 et l’emprunt du mois de mai.

Voyons un instant. Il est vrai qu’à la veille des événemens du 10 avril, qui allaient à l’improviste ensanglanter Madrid, un prétexte venait de lui-même s’offrir au ministère ; mais justement les gouvernemens sensés sont faits pour ne pas saisir les prétextes qu’on leur donne de commettre des fautes. Il y a en Espagne, je le disais, un parti démocratique ; il y en a même deux, qui se font aujourd’hui la guerre : l’un créé, dirigé par un homme d’un talent énergique, orateur parlementaire des plus brillans, avocat et directeur du journal la Discussion, M. Nicolas Rivero, — l’autre formé et conduit par un jeune écrivain de savoir et d’imagination, M. Emilio Castelar, qui n’a jamais été député, mais qui est professeur à l’université de Madrid, et qui a, lui aussi, son journal, la Démo-