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fortune, ne doutant de rien, et il rassembla facilement quelques noms ; mais on s’aperçut bien vite que ce n’était là qu’un ministère modéré, moins les personnages qui sont l’autorité de ce parti, et lorsque le général Pavia tenait déjà ses collègues sous les armes, c’est-à-dire en uniforme, pour aller prêter serment, la reine, informée peut-être du médiocre effet de cette combinaison déjà ébruitée, ajourna poliment, — puis elle finit par laisser entendre que les nouveaux ministres ne répondaient peut-être pas à tout ce qu’exigeaient les circonstances. Il fallait se tourner ailleurs : cette fois ce fut vers M. Isturiz, vieillard fort respectable, utilité des plus souples et des moins gênantes, qui se laissa aisément persuader, et fit partager sa bonne volonté par MM. Bermudez de Castro, Salaverria, Arrieta, lbarra, Ardanaz ; mais on s’aperçut aussitôt que c’était l’union libérale moins ses représentans les plus désignés, moins O’Donnell, et il en fut de la combinaison Isturiz comme il en avait été de la combinaison Pavia. La reine fit appeler bien d’autres personnages, notamment le général don Francisco Lersundi, dont elle aime l’indépendante loyauté, mais qui déclina, quant à lui, toute mission officielle, et se contenta de faire entendre la parole d’un soldat fidèle, attristé et sans illusions.

Enfin, durant ces quatre jours d’hiver où la neige tourbillonnait sur la ville et où l’effervescence gagnait les esprits, il y avait à Madrid des collections de ministres en permanence, occupés à revêtir ou à dépouiller l’uniforme ; ils se succédaient d’heure en heure, et comme en Espagne une crise ministérielle devient aisément l’affaire de tout le monde, c’était un vrai bourdonnement de rumeurs étranges, de bruits contradictoires qui grossissaient et prenaient des proportions fantastiques en se répandant. On s’abordait dans les rues, dans les réunions en se demandant : « Que se passe-t-il au palais ? Qui a été appelé ? Quel est le cabinet d’aujourd’hui ? — Est-ce Pavia ? — Non, c’est Isturiz. — C’est peut-être Espartero. » Si ce n’eût été que cette excitation de curiosité dans un monde de fonctionnaires attendant ou redoutant tous les changemens d’administration, passe encore. Par malheur, pendant ce temps rien ne marchait et les intérêts prenaient l’alarme. Le change sur Paris montait d’une façon inquiétante. La foule se pressait à la banque pour échanger les billets qui n’étaient pas remboursés et que le commerce ne recevait plus. Le trésor était vide, et on était bientôt obligé, pour attirer l’argent, d’élever à 9 pour 100 l’intérêt des sommes remises à la caisse des dépôts. En un mot, la situation finissait par devenir tout à la fois ridicule et désastreuse. C’était une comédie qui pouvait d’un instant à l’autre se changer eu drame, si les passions publiques, déjà vivement excitées, entraient en scène, lorsque, de guerre lasse, et le sentiment de la gravité des circon-