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ment amassées et en face desquelles se trouvait le ministère de septembre. Au premier coup d’œil, une question dominait tout et pesait sur la politique de l’Espagne, sur ses finances, sur l’esprit public : c’était la question de Saint-Domingue. Lorsqu’il y a quelques années le ministère O’Donnell, poussé tout à coup, lui aussi, par l’humeur des annexions, — qui n’a pas dans ces derniers temps médité sa petite annexion ? — réincorporait à la monarchie espagnole cette partie de l’île de Saint-Domingue qui s’est appelée la république dominicaine, il ne songeait qu’à la satisfaction d’orgueil national qu’il procurait au pays et peut-être aussi au prestige qu’il se donnait à lui-même ; malheureusement il introduisait du même coup dans la politique espagnole le germe d’une complication douloureuse. Il s’est trouvé en réalité que cette annexion spontanée, et acclamée s’était accomplie avec une légèreté singulière. On n’a rien fait pour adoucir le poids de la domination nouvelle ; on l’a au contraire aggravé par une nuée d’employés qui se sont abattus sur le pays, et une insurrection formidable a éclaté. Le gouvernement de Madrid a envoyé généraux sur généraux, régimens sur régimens, toute une armée, et cette armée est allée mourir en détail de la fièvre, perdant chaque jour du terrain, réduite à se replier sur quelques points principaux, dégoûtée de cette guerre ingrate, impuissante enfin devant un petit peuple tout entier en armes et embusqué dans ses forêts ou dans ses montagnes, si bien que le moment est venu où l’Espagne s’est trouvée en face de cette cuisante et amère alternative : ou il fallait envoyer toute une armée nouvelle, procéder par la conquête par le fer et le feu, au risque de voir cette nouvelle armée périr dans sa victoire avec les insurgés eux-mêmes, ou il n’y avait plus qu’à s’avouer virilement qu’on s’était trompé et à se retirer franchement, courageusement d’une entreprise lointaine qui dévorait des milliers de vies humaines sans profit et sans gloire, en faisant de cruelles saignées aux finances déjà fort malades de l’Espagne. C’était ou une erreur de politique à soutenir jusqu’au bout sans espoir d’une compensation, ou une déception à subir avec un bon sens résigné. C’était d’abord justement le choix que le ministère nouveau avait à faire, auquel il avait à rallier l’opinion du pays.

Il rencontrait bien d’autres questions difficiles dans l’ensemble de la politique. L’attitude, extérieure de l’Espagne en ce moment n’était certes rien moins que brillante, rien moins que simple et aisée. Au fond, l’Espagne est peu portée à se mêler aux affaires du monde ; par goût, par habitude, peut-être par nécessité de situation, elle incline volontiers vers un système de neutralité qui est l’idéal de beaucoup de ses hommes d’état ; mais en même temps,