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celui qu’on pourrait appeler le grand démiurge : ce sont les acides et les oxydes. Les premiers, plus riches en oxygène que les seconds, sont d’une saveur généralement aigre et rougissent les teintures bleues végétales ; les seconds, doués de propriétés opposées, ont une saveur caustique ou urineuse, et ramènent au bleu les teintures rougies par les acides. A raison de leurs propriétés antagonistes, ces deux ordres de corps tendent fortement à s’unir, car l’expérience a démontré que l’affinité entre deux corps est d’autant plus grande que leurs propriétés diffèrent davantage. Eh bien ! ces acides, ces oxydes, ou ces alcalis, comme on les appelle encore, ne sont pas particuliers à la nature inorganique. Le règne organique nous présente des corps dont les uns se comportent comme des acides, en ont les propriétés essentielles, et dont les autres répondent complètement aux alcalis. En un mot, le monde organique nous offre dans ses innombrables composés deux classes de corps qu’on peut aussi appeler des acides et des alcalis. Ce ne sont pas, il est vrai, habituellement des combinaisons de l’oxygène avec un radical proprement dit, avec un corps simple, bien que quelques-uns, l’acide oxalique par exemple, aient ce caractère : ce sont des combinaisons en proportions diverses des élémens que j’ai indiqués plus haut comme étant ceux de toutes les manières inorganiques ; mais, sauf cette différence, la similitude est complète entre les alcalis minéraux et les alcalis organiques, entre les acides minéraux et les acides organiques.

Le système de nomenclature à l’aide duquel les chimistes du siècle dernier avaient pensé pouvoir dénommer tous les corps en exprimant leur composition est devenu, par la découverte de ces acides et de ces oxydes organiques, tout à fait insuffisant. Le retour constant à des parties constitutives identiques pour une foule de corps différens ne permettait plus d’emprunter aux noms de la matière des composans les élémens formateurs du nom à attribuer à chacun de ces corps. On dut se borner à désigner les acides d’après les substances d’où on les avait originairement tirés. C’est ainsi que l’on créa le nom d’acide acétique, acide qu’on avait d’abord extrait du vinaigre et qui s’est retrouvé dans la sève de presque toutes les plantes, — celui d’acide gallique, cet acide ayant d’abord été fourni par la noix de galle, — celui d’acide citrique, acide que Scheele en 1784 obtint du jus de citron, — celui d’acide formique, acide que donnent les fourmis rouges et auquel les orties doivent leur propriété irritante.

L’existence des alcalis organiques dénommés d’après un procédé analogue à celui qui a fourni la terminologie des acides ne fut constatée qu’un laps de temps assez long après la découverte des premiers acides organiques. On les rencontra d’abord dans l’opium.