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portée d’esprit qui excède celle de bien des hommes. Moins l’intelligence est puissante, plus elle préfère ces petits faits, ces petits détails, ces petites choses faciles à pénétrer et à saisir, et, quelles que soient la grandeur et l’importance d’une science, la masse ne la goûte que médiocrement quand elle demande une méditation trop constante, une patience trop prolongée. La frivolité de notre esprit repousse les grandes entreprises intellectuelles, et, une connaissance est d’autant plus populaire qu’elle suppose moins de travail.

Puisqu’il en est ainsi, on ne saurait prétendre donner à tous le désir d’étudier les conquêtes de la chimie moderne ; on peut du moins faire comprendre aux gens de bonne volonté les plus féconds des résultats auxquels elle nous conduit ; on peut montrer aux personnes étrangères à la chimie ce que cette science nous a déjà enseigné sur la constitution de la matière, sur les lois qui en régissent les composés. En l’essayant, on inspirera, je l’espère, pour tant de découvertes l’admiration et le respect auxquels elles ont droit.


I

Les substances que nous offre le règne minéral ont été si fort étudiées dans les laboratoires depuis un siècle, les applications que la chimie inorganique a trouvées dans l’industrie sont si nombreuses que cette branche des sciences physiques, sans être familière à tous, n’est cependant ignorée d’aucune personne tant soit peu instruite. Les élémens de la chimie minérale sont enseignés dans tous nos lycées, dans nos écoles industrielles, dans un grand nombre de cours publics ; ils sont exposés dans une foule de livres accessibles aux esprits les plus médiocres. Il n’en est pas de même pour la seconde branche de la chimie, de constitution plus récente, de celle qui s’occupe des substances produites par les êtres organisés ou entrant dans leur enveloppe matérielle. C’est seulement depuis peu que cette chimie est l’objet spécial d’un enseignement public. Les gens les plus intéressés à la savoir n’en possèdent que des notions fort incomplètes. Cela tient à ce que la chimie organique est demeurée longtemps un pur ensemble de données sans liaison solide, une collection d’observations ne présentant à l’intelligence ni enchaînement logique, ni classification simple. On se résignait facilement à cette ignorance dans la pensée que les produits organiques sont l’œuvre exclusive de forces mystérieuses qui échappent à l’analyse, la force vitale et la force végétative. Retirer des plantes et des animaux quelques substances utiles à nos usages, en définir les propriétés, voilà donc à quoi la chimie organique fut d’abord contrainte de se borner.