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saient leur œuvre par dévouement ; après Constantin, ils trafiquent de leur travail : ce sont des mercenaires qui spéculent sur la main-d’œuvre et le prix du terrain. Ils percent des galeries, ils creusent des chambres, ils construisent des tombeaux qu’ils livrent au plus offrant, et les traces de ces contrats de vente se lisent encore sur les murailles des catacombes. C’est la preuve que la foi des premiers jours s’attiédissait dans le triomphe. Avec elle, le respect qu’inspiraient les cimetières souterrains, témoins des luttes du passé, diminuait ; les inhumations y deviennent plus rares dès l’époque de Constance. Les fossoyeurs faisaient-ils payer le terrain trop cher ? Les veines du tuf granulaire dans lequel ils sont creusés étaient-elles près de s’épuiser ? Les belles basiliques de Constantin séduisaient-elles davantage les fidèles ? On ne saurait le dire ; ce qui est certain, c’est qu’après quelques hésitations l’habitude d’enterrer les morts dans les églises l’emporta. Les catacombes furent abandonnées ; on les quitta même assez brusquement, puisqu’on a trouvé des chambres et des galeries préparées par les fossoyeurs, et qui n’ont pas été occupées. Il y avait juste cinq siècles qu’on y ensevelissait les morts.

Cependant on continua longtemps à les visiter : elles gardaient les souvenirs des persécutions, elles contenaient le corps des martyrs. Saint Jérôme raconte « qu’étant enfant il y descendait le jour du Seigneur avec ses camarades et pénétrait jusque dans les cryptes, dont les parois montrent de tous côtés des cadavres ensevelis. » On y venait de tous les pays de la chrétienté. Nous avons conservé de curieuses notices de ce temps qui sont comme des guides du voyageur aux tombeaux des martyrs ; Il nous reste aussi quelques itinéraires de pèlerins qui les ont visitées dans les dernières années de l’empire, Ils sont l’œuvre d’hommes simples et crédules fort disposés à croire qu’on n’a jamais enterré que des saints dans les catacombes, qui donnent facilement le nom d’évêques ou même de papes à de simples prêtres et celui de martyrs et de confesseurs à des gens qui n’eurent jamais rien à souffrir pour leur foi. Ces exagérations mêmes montrent quel enthousiasme inspiraient alors les catacombes. Tous ceux qui venaient les voir voulaient emporter quelque pieux souvenir de leur voyage. D’ordinaire ils versaient à profusion des parfums précieux sur la pierre brisée du tombeau et recueillaient les moindres gouttes qui s’échappaient par les fentes inférieures, après avoir touché le corps du saint. Il y eut même une reine de Lombardie qui envoya tout exprès un prêtre pour recueillir et rapporter l’huile des lampes qui brûlaient auprès des tombes des martyrs. Les invasions des barbares interrompirent ce culte. Alaric, Vitigès, Ataulf, dévastèrent successivement