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de leurs cimetières, Elles étaient favorablement traitées par la loi ; les empereurs les protégeaient ; ils avaient fait rendre pour elles le sénatus-consulte dont j’ai parlé et qui leur permettait de se réunir une fois par mois. C’était une faveur très appréciée sous l’empire, parce qu’elle était rare. Pour les admettre à jouir du bienfait de ce sénatus-consulte, on leur demandait seulement de se faire autoriser par un décret spécial, et le grand nombre de ces associations nous prouve que ce décret était accordé sans peine. Rien n’indique que les chrétiens ne se soient pas soumis à cette formalité, qui n’engageait en rien leur foi : c’était une mesure d’ordre public qu’avec leurs maximes ils devaient respecter. Obéissans au pouvoir comme ils faisaient profession de l’être, pourquoi se seraient-ils volontairement soustraits à ses prescriptions quand leur conscience ne le commandait pas ? Il n’est donc pas impossible que, pour obtenir le droit de posséder légalement leurs cimetières, les chrétiens n’aient formé une de ces associations que les empereurs autorisaient. Ce qui est certain, c’est qu’ils avaient comme elles un trésor commun que chacun des frères contribuait à remplir par des cotisations mensuelles (stips menstrua). On a aussi remarqué qu’ils sont désignés dans une ancienne inscription par le titre d’adorateurs du Verbe (cullores Verbi), qui rappelle tout à fait celui qu’on donnait aux membres des sociétés de funérailles ; ne serait-ce pas le nom sous lequel les chrétiens se sont fait autoriser par le pouvoir à posséder des sépultures communes ? Quoi qu’il en soit, s’ils n’ont pas cru devoir demander cette autorisation, si par un motif que nous ne savons pas ils sont restés en dehors de ces sociétés légalement établies, il est certain qu’ils n’en ont pas moins tiré beaucoup de profit de leur existence. Le grand nombre de ces associations légales rendait indulgent pour les autres. En les voyant si facilement autorisées ; on ne songeait pas à faire un crime à celles qui se passaient de l’être. Elles habituaient le public à regarder sans étonnement ces tombeaux qui étaient la propriété de toute une corporation, et le respect que la loi témoignait pour quelques-uns d’entre eux était utile à tous.

Une autre raison qui rendit plus facile aux chrétiens la possession de leurs cimetières, c’est qu’en somme ils étaient moins différens des tombeaux païens qu’on n’est d’abord tenté de le croire. Quelles que soient les idées nouvelles qu’une religion apporte dans le monde, elle n’échappe pas à son temps. En se séparant de lui, elle est forcée de le subir. Quoiqu’elle affiche la prétention de tout renouveler, elle reste, sans le savoir, l’esclave de certaines habitudes dont elle ne peut se défaire, et le passé se fait largement sa place chez elle, au moment même où elle annonce qu’elle va le détruire. En général, entre deux religions qui se combattent, les contemporains aperçoivent surtout les différences ; les ressemblances frappent