Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mineure, la Cyrénaïque et la Chersonèse en contiennent un grand nombre, il y en a même chez les Étrusques, auxquels on attribue une origine orientale. Enfin on en découvre tous les jours à Rome, et cela ne doit pas surprendre. A la fin de la république et dans les premiers temps de l’empire, Rome a été comme envahie par les peuples de l’Orient. « Voilà longtemps, disait Juvénal en colère, que l’Oronte coule dans le Tibre. » Ils apportaient dans cette grande ville tolérante et distraite leurs croyances et leurs habitudes. On les laissait prier leurs dieux à leur façon et enterrer leurs morts comme ils voulaient. Non-seulement ils étaient tolérés, mais ils pouvaient prêcher leurs doctrines et ne s’en faisaient pas faute. Je ne crois pas qu’aucune ville, même Alexandrie sous les Ptolémées, ait jamais offert au monde un spectacle plus curieux et plus animé que Rome au commencement de l’empire. Ce n’était pas seulement la capitale industrielle et politique de l’univers, c’était aussi le lieu où toutes les philosophies et toutes les religions de la terre se rencontraient. Au milieu de cette énorme activité d’affaires, il régnait une activité d’esprit plus remarquable encore. L’affaiblissement des anciennes croyances laissait le champ libre aux opinions nouvelles ; elles en profitaient pour s’agiter et se répandre et faisaient partout des prosélytes. Les religions de l’Orient surtout attiraient les âmes par l’étrangeté de leurs rites et le tour mystérieux de leurs doctrines. Quelques-uns se livraient tout à fait à elles ; le plus grand nombre sans se pénétrer entièrement de leur esprit, imitaient au moins leurs pratiques les plus apparentes. C’est ainsi que beaucoup de Romains se mirent à enterrer les morts à la façon des Orientaux. A partir des Antonins, l’habitude de brûler les corps devient de moins en moins fréquente ; à l’époque de Macrobe, elle n’existait presque plus. Les païens eurent donc aussi de bonne heure leurs hypogées, semblables à ceux des peuples de l’Orient. Au IIIe siècle, il n’y avait rien de plus répandu à Rome que cette manière d’ensevelir les morts. Je me figure que la campagne romaine était alors creusée en tous sens. Les Juifs, les Phéniciens, les adorateurs de Mithra et de Sabazius, les chrétiens surtout, qui commençaient à devenir si nombreux, quelquefois aussi les païens, fouillaient le sol pour leur sépulture. Il y avait dans ces divers cultes une sorte d’activité intérieure et souterraine qui répondait à l’activité du dehors. Ces fossoyeurs funèbres cherchaient à s’éviter[1] ; mais il n’y parvenaient pas toujours. On trouve au cœur des catacombes un caveau où reposent un prêtre de Sabazius et quelques-uns de ses disciples. Les ouvriers chrétiens l’avaient sans

  1. M. de Rossi fait voir que plus d’une fois les galeries chrétiennes se sont brusquement détournées pour ne pas toucher à quelque hypogée d’un autre culte.