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peuplades indiennes expulsées du Canada, qui s’y sont établies sous la protection du gouvernement. Ici du moins personne ne leur dispute la terre. On leur envoie des inspecteurs et des juges, qui doivent résider parmi eux pour y développer l’industrie, l’agriculture et les lumières. Ces inspecteurs font sans doute de beaux rapports, mais je ne les crois pas très utiles.

Un groupe de voyageurs s’arrêta devant une cabane où deux femmes indiennes accroupies sur le seuil travaillaient en silence à quelque babiole. Les curieux attroupés riaient tout haut devant elles et les agaçaient de leurs plaisanteries. Elles, sombres, impassibles et muettes, nous regardaient gravement sans s’interrompre et ne répondaient rien. On eût dit qu’elles nous jugeaient indignes d’une parole et qu’elles se retranchaient dans une insensibilité dédaigneuse. Je souffrais de voir ce reste de fierté mêlé à leur abjection ; j’aurais voulu écarter cette foule insultante qui offensait leur dignité. Je leur parlai français : elles ne me comprenaient pas ; mais elles prirent volontiers six pence que je leur jetai sur les genoux. Telle est la réalité prosaïque : cette imposante gravité n’est qu’un sommeil pesant de l’intelligence. Quand vous voyez un de ces masques de bronze à l’œil fixe, sorte de sphinx rêveur et de ruine hautaine d’une gloire passée, ne vous laissez pas étonner par la royale majesté de l’attitude ; jetez-lui quelques sous, et, sans remuer un muscle de son visage, le noble déchu ramassera votre aumône, trop indolent pour demander et trop insensible pour dire merci.

Nous continuons à naviguer parmi les îles, qui se dressent de tous côtés par myriades, et nous devinons à travers la brume un horizon plein de vues gracieuses. Ce crépuscule obstiné nous vient des grands incendies des forêts. Il y a depuis quelques semaines conflagration générale sur tous ces rivages, jusqu’au fond du Lac-Supérieur, — cinq cents lieues de pays qui brûlent ou qui ont brûlé. La fumée s’étend sur les grands lacs jusqu’à des centaines de milles ; elle descend par les vallées jusqu’aux parages de Montréal.

13 août.

Nous avons touché à Bruce-Mines, établissement considérable de la compagnie des mines de cuivre de Montréal. L’exploitation du minerai occupe environ trois cents ouvriers. On soumet les produits bruts de la mine à l’action du mortier, et après plusieurs lavages on obtient une poudre de cuivre d’une grande pureté. Par-delà se trouve une autre mine, non moins florissante, exploitée par une compagnie anglaise. La colonie de Bruce-Mines, déjà populeuse, a beaucoup d’avenir. Je cause avec un employé du gouver-