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Nous sommes dans la région des îles : il y en a des centaines, des myriades ; elles obstruent le passage, elles fourmillent dans le bassin du lac comme autant de bouquets fleuris, parmi lesquels on circule comme à travers une flottille verte. Il y en a de grandes et de montagneuses, puis des îlots dispersés autour comme de petites barques près d’un gros navire : chacun déploie sur sa crête un panache de pins et de chênes. Nous serpentons dans ce labyrinthe, non sans jeter un regard d’envie sur ces petits continens sauvages, fourrés d’arbousiers et de bouleaux. Vous ne sauriez croire quelle variété, quelle coquetterie charmante ces premiers plans donnent au paysage. Quelquefois deux îles encadrent le tableau de leur verdure sombre, et entre deux, sur l’onde unie, le regard fuit au loin vers des cimes bleues, déjà vêtues de l’ombre du soir. Un peu plus loin, le lac s’ouvre ; les collines adoucissent leurs replis sinueux. Les maisons de campagne se multiplient sur la rive ; de petites barques pleines de monde sortent des criques ombreuses et nous entourent avec des cris de joie. Enfin un riant village apparaît groupé autour d’un grand édifice, l’hôtel Byron de cet autre lac de Genève. Le soleil se couchait, enveloppé de brume et rouge comme du sang ; il se cachait derrière une cime ; puis reparaissait au fond d’une vallée ; comme s’il eût prolongé son adieu : Il projetait du haut de la montagne une longue traînée d’étincelles de pourpre sur les petites vagues mourantes du lac argenté. Au pied de la côte, à l’ombre des forêts, les eaux avaient une noirceur épaisse en contraste étrange avec le mobile feu d’artifice qui s’étendait au large jusqu’à nos pieds. De blancs chalets dispersés sur les collines, un clocher débout au sein d’une verdure bocagère et pastorale, des fumées bleues s’élevant dans le ciel pâle et rosé, tel est le doux tableau que nous contemplâmes avant de dire adieu, pour jamais sans doute, au lac des eaux souriantes

Niagara, 1er août.

Je suis à Niagara ; mais je veux d’abord vous parler des cascades de Trenton et de ce délicieux fourré de cyprès, de genévriers et de sycomores où j’ai passé la journée d’hier à courir et à dessiner. Partis de Saratoga par le chemin de fer de Buffalo, nous traversons quelques jolies vallées, puis une vaste étendue de plaines sèches et monotones. A Utica, grande ville née d’hier dont le nom même nous était ignoré, nous prenons la ligne d’Ogdensburg. Du sein de la plaine s’élève une montagne, ou plutôt une chaîne de montagnes de sable mouvant, qui semblent des dunes entassées sur le rivage de quelque océan primitif. Le chemin de fer les escalade avec la hardiesse américaine, franchissant les vallées sur de hautes et frêles charpentes qui tremblent sous notre poids. Des sommets