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À cette scène succède le travail du code civil. Les têtes sont calmes. C’est le moment d’écouter l’exposition d’un nouveau système sur les assignats. N’est-ce pas encore Cambon, toujours infatigable ? Oui, c’est lui ; il propose de démonétiser les assignats à l’effigie royale, qui offusque les patriotes. Les chiffres sont pesés ; confrontés ; les opérations sont étudiées, vérifiées comme dans le cabinet retiré d’un financier. — Nouvel incident qui appelle l’attention. Un orateur de Lyon apporte à la barre la tête de Châlier, qu’une femme a déterrée de ses mains pieuses dans la nuit. Il fait hommage à la convention de cette tête coupée du tribun, il raconte les vertus de cet émule de Marat ; Châlier les possédait toutes, excepté la divine fureur. La convention regarde cette tête de mort, elle accepte l’augure et reprend son ouvrage. Télégraphes, instructions sur le salpêtre, écoles normales, école centrale, d’où sortira l’école polytechnique, liberté des cultes, arrestation des soixante-treize, Lyon remplacé par Commune-Affranchie, Toulon par Port-de-la-Montagne, savans en réquisition pour les calculs sur la théorie des projectiles, musée, Muséum d’histoire naturelle, victoire de Hondschoote, victoire de Wattignies, remportée en personne par Carnot, victoire de Savenay, liberté des nègres, nouveau maximum, nouvelle ère universelle, tout sort à la fois de la tête de la convention, par une explosion de la nature, sous les coups redoublés de la nécessité !

A quoi comparerai-je cette création furieuse et calculée, où tous les contrastes se réunissent ? Y a-t-il dans la nature un objet qui y ressemble ? On dit qu’Eschyle avait fait une tragédie d’Etna. Je m’imagine qu’on entendait au faîte le travail régulier des cyclopes qui forgeaient avec un bruit d’airain, sous leurs marteaux innombrables, les armes, les glaives, les flèches, les boucliers des dieux. On devait y surprendre aussi la longue respiration haletante, immense, entrecoupée, du géant Encelade, qui s’exhalait à travers les gorges embrasées de la montagne. Sur les flancs croissaient de vastes forêts de chênes, — au sommet la neige, au pied les oliviers. Des enfans jouaient sur les genoux du cyclope, à l’extrémité du promontoire. Le roi des morts, Pluton, apparaissait échevelé, sur son char d’ébène, dans les gouffres ouverts. Il remplissait les champs de terreur. Tout tremblait au loin, les villes, les tours, les peuples, les rois, les hommes, les dieux. — Mais qu’est-ce que cette image en comparaison de la terreur attachée à la convention aux sept cents têtes ? La nature est ici dépassée de beaucoup par les hommes.

Quand j’ai voulu m’éclairer sur le caractère de la convention, j’ai vu un travail incessant de civilisation au milieu d’une bataille soutenue contre le monde entier : grandeur unique entre toutes les