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base historique ; il semble être une abstraction pure, surgie de terre au commandement militaire d’un grand capitaine. Les travaux collectifs de la constituante, de la législative, surtout ceux de la convention, modifiés sans doute, corrigés, complétés dans les détails, allèrent s’engloutir dans la gloire unique du premier consul. Aujourd’hui notre œuvre doit être de retrouver, de reproduire le code primitif, sans lequel la copie ne paraît qu’une statue sans base. Ne souffrez pas davantage que la nation française perde son plus beau titre, restituez-lui ce qui lui a été dérobé. Il n’est pas permis à une nation de pousser l’oubli jusqu’à s’oublier elle-même.

Sous le code de Justinien se retrouve l’âme des grands jurisconsultes des temps antérieurs ; on n’avait pas songé à effacer leur œuvre et leur mémoire. La science du pouvoir d’un seul a été portée plus loin sous le consulat. Dans le code de 1803, Napoléon a systématiquement effacé la convention.

L’œuvre du code civil a été continuée toujours dans le même esprit, à travers les époques les plus diverses de la révolution. C’est là un fil que rien n’a pu rompre ; il sert à se reconnaître dans le labyrinthe. Les partis changent, se succèdent ; ils se transmettent l’un à l’autre le fil d’Ariane, toujours le même, toujours égal, depuis les feuillans jusqu’aux thermidoriens. Les actes de l’état civil sont dus à la législative (20 septembre 1792), le principe des successions à la constituante ; mais c’est sous la présidence de Couthon que la convention décrète irrévocablement l’égalité des partages entre les héritiers. L’adoption, consacrée le 18 janvier 1792, est décrétée en août 1793 et le 16 frimaire an III. Les principes sur la paternité, la tutelle, les contrats, les obligations, sont du 23 fructidor, du 5 brumaire, du 17 nivôse an II. Ainsi les bouleversemens des partis ne changent en rien le plan, l’idée, l’esprit de ce droit privé, qui semble se graver lui-même comme la nécessité dans les consciences. L’œuvre avance tranquillement, obstinément. Ni échafauds ni factions ne combattent pour le code, personne ne s’en inquiète, et il se trouve à la fin que c’est lui qui survit, quand tout le reste est abattu.

Dans cet ordre d’idées, point d’hésitations, de luttes, de fatigue, de défaillance. Quand les partis sont épuisés, sitôt qu’il y a un moment de silence, le code, ce travail interrompu, reparaît. Il rallie aussitôt toutes les intelligences ; elles reprennent haleine dans cette géométrie civile. La convention lui donne soixante séances à des intervalles plus ou moins éloignés. Un titre s’ajoute à ceux qui précèdent, et le monument de paix s’élève au milieu des colères assoupies. Comme une mer furieuse dépose au fond de son lit de tranquilles stratifications de marbre, ainsi la révolution française,