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Le calcul fait par Daniel Bernouilli, qui avait proposé le problème, et conforme aux principes admis par tous les géomètres, à l’exception du seul d’Alembert, exige que l’enjeu de Paul soit infini. Quelque somme qu’il paie à Pierre avant de commencer le jeu, l’avantage sera de son côté ; tel est dans ce cas le sens du mot infini. Ce résultat, quoique très véritable, semble étrange et difficile à concilier avec les indications du bon sens, d’après lesquelles aucun homme raisonnable ne voudrait risquer à un tel jeu une somme un peu forte, 1,000 francs par exemple.

L’esprit de d’Alembert, embarrassé dans ce paradoxe, ne craignit pas de condamner les principes, indubitables pourtant, qui y conduisent, en proposant, pour en nier la rigueur, et en contester l’évidence, les raisonnemens les moins fondés et les plus singulières objections. Il refuse, par exemple, aux géomètres le droit d’assimiler dans leurs déductions cent épreuves faites successivement avec la même pièce à cent autres faites simultanément avec cent pièces différentes. Les chances, dit-il, ne sont pas les mêmes dans les deux cas, et la raison qu’il en donne est fondée sur un singulier sophisme. « Il est très possible, dit-il, et même facile de produire le même événement en un seul coup autant de fois qu’on le voudra, et il est au contraire très difficile de le produire en plusieurs coups successifs, et peut-être impossible, si le nombre des coups est très grand. » — « Si j’ai, ajoute d’Alembert, deux cents pièces dans la main et que je les jette en l’air à la fois, il est certain que l’un des coups croix ou pile se trouvera au moins cent fois dans les pièces jetées, au lieu que, si l’on jetait une pièce successivement en l’air cent fois, on jouerait peut-être toute l’éternité avant de produire croix ou pile cent fois de suite. » Est-il nécessaire de faire remarquer que les deux cas assimilés sont entièrement distincts, et que jeter deux cents pièces en l’air pour choisir les cent qui tournent la même face, c’est absolument comme si l’on jetait en l’air une pièce deux cents fois de suite, en choisissant après, pour les compter seules, les épreuves qui ont fourni le résultat désiré ? Dans cette discussion, qui d’ailleurs n’occupe qu’une bien faible place parmi ses opuscules, d’Alembert, se trompe complétement, et sur tous les points. Son esprit, toujours prêt à s’arrêter, en déclarant impénétrable tout ce qui lui semble obscur, était plus qu’un autre exposé au péril de condamner légèrement les raisonnemens si glissans et si fins du calcul des chances.

Quant au paradoxe du problème de Saint-Pétersbourg, il disparaît entièrement lorsqu’on interprète exactement le sens du résultat fourni par le calcul : une convention équitable n’est pas une convention indifférente pour les parties ; cette distinction éclaircit tout.