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sont écartés ! Comme il s’agit, après tout, d’un refus qui honore les jésuites, l’occasion, est mal choisie pour leur faire un reproche que Pascal d’ailleurs a pour toujours rendu banal. Personne ne fut trompé sur le véritable auteur du livre anonyme. La conversation de d’Alembert, non moins que ses amitiés bien connues, indiquait assez d’ailleurs à quel parti il appartenait, et on lui faisait même l’honneur, auquel il n’aspirait pas, de l’en considérer comme un des chefs. Quoique Voltaire lui ait reproché de n’être libre qu’avec ses amis et quand les portes étaient fermées, son influence, qui était grande, surtout dans les académies, s’exerçait ouvertement en faveur de ceux qu’une trop grande liberté d’opinions désignait aux rigueurs du parti opposé. Il excitait ainsi, en même temps que bien des colères, d’artificieuses et d’implacables inimitiés. « Je suis excédé, écrivait-il à Voltaire après la publication du septième volume de l’Encyclopédie, je suis excédé des avanies et des vexations de toute sorte que cet ouvrage nous attire. Des satires odieuses et même infâmes que l’on publie contre nous sont non-seulement tolérées, mais protégées, autorisées, applaudies, commandées même par ceux qui ont l’autorité en main. »

Ceux qui avaient l’autorité en main se souciaient peu au fond des opinions plus ou moins hardies d’un philosophe ; mais d’Alembert avait d’autres torts à leurs yeux. Non-seulement son esprit, maladroit sur ce point, ne sut jamais flatter un ministre ni s’empresser près de lui, mais ses lettres à Voltaire, qui étaient ouvertes à la poste, marquent souvent un grand dédain pour les hommes les plus haut placés. « Les ministres, lui écrivait-il une fois, vos protecteurs ; ou plutôt vos protégés… » Et peu de temps après : « La France ressemble à une vipère ; tout en est bon, hors la tête. » D’Alembert était donc fort mal noté de bien des manières, et lorsque la mort de Clairaut laissa vacante une des pensions destinées à l’Académie des Sciences, on eut grand’peine à obtenir du ministre qu’il la reportât sur son illustre rival. C’était un acte de justice. Depuis longtemps, d’Alembert était hors rang dans l’Académie, et sa réputation ne souffrait aucune comparaison. La résistance du ministre choquait l’opinion de tous les savans, mais leurs vives et pressantes instances mirent plus d’une année à la vaincre.

Le roi de Prusse, à cette époque, offrit de nouveau à d’Alembert la présidence de l’Académie de Berlin. Cette fois encore il refusa. « Il est étonnant, j’en conviens, écrivait-il à son royal ami, que les philosophes méprisés ou persécutés chez eux ne cherchent pas d’asile, auprès d’un prince fait pour les consoler, les protéger, et pour les instruire… C’est qu’ils pensent pour leur patrie comme la femme du Médecin malgré lui, qui aime son mari, quoiqu’elle en