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qu’on puisse, ajoute-t-il, opposer aux objections des sceptiques est celle-ci : les mêmes effets naissent des mêmes causes. En supposant pour un moment l’existence des corps, les sensations qu’ils nous feraient éprouver ne pourraient être ni plus vives, ni plus constantes, ni plus uniformes que celles que nous avons ; donc nous devons supposer que les corps existent. Voilà jusqu’où le raisonnement peut aller en cette matière et où il doit s’arrêter. »

Les autres problèmes métaphysiques sont résolus d’une manière moins dogmatique encore. Nous devons, suivant d’Alembert, les laisser à résoudre à notre postérité, qui les léguera de même à la sienne. « Les idées innées sont une chimère que l’expérience repousse ; mais la manière dont nous acquérons des sensations et des idées réfléchies, quoique prouvée par la même expérience, n’est pas moins incompréhensible. Sur tous ces objets, l’intelligence suprême a mis au-devant de notre faible vue un voile que nous voudrions arracher en vain. » Il rapporte les preuves directes de l’existence de Dieu sans en bien apercevoir la rigueur. Les révélations et les lumières de la religion, qu’il salue avec respect, sont le seul guide et le seul flambeau qui puissent les montrer aux âmes pieuses avec une entière certitude. Abordant enfin la question de l’immortalité de l’âme, « nous avons, dit-il, de très fortes raisons de croire que notre âme subsistera éternellement, parce que Dieu ne pourrait la détruire sans l’anéantir, et que l’anéantissement de ce qu’il produit une fois ne paraît pas être dans les vues de sa sagesse. »

Le principe de la morale est, suivant lui, dans nos inclinations naturelles, qui nous montrent, lorsqu’elles ne sont pas perverties, les véritables devoirs de la vie humaine. La nature, qui a voulu que les hommes vécussent unis, les a dispensés de chercher par le raisonnement les lois immuables de la vérité et de la justice suivant lesquelles leur conduite doit être réglée ; chacun les entend dans le secret de son cœur et les connaît par une espèce d’inspiration et par le plaisir qu’il éprouve à les suivre[1]. La vertu est en quelque sorte un instinct qui prévient la raison, mais n’y contredit jamais. « Le sage, ajoute d’Alembert, cherche et aperçoit l’union intime des sentimens d’équité naturelle avec leur intérêt propre ; il la découvre à ceux qui ne la voyaient pas et affermit par là les liens qui les unissent. » Ces doctrines, quelque sceptiques qu’elles soient, ne sont que l’expression affaiblie du doute raisonné et convaincu qui forme le trait saillant de l’esprit de d’Alembert.

D’autres écrits, ceux surtout qui furent composés pour l’Acadé-

  1. Montaigne avait dit : « Serait-il vrai que, pour être bon tout à fait, il nous le faille être par occulte, naturelle et universelle propriété, sans loi, sans raison, sans exemple ? »