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à l’islam. Mais ce sont surtout les trois bibliothèques du couvent qui excitent la curiosité enthousiaste du voyageur. Au-dessus de la porte, on lit cette inscription : ίατρεϊον ψυΧής. Les moines du Sinaï, dit M. Tischendorf, ayant une santé spirituelle aussi robuste que leurs amis les Bédouins, ni les uns ni les autres ne s’intéressent beaucoup à cette pharmacie de l’âme. On devine aisément quel en serait l’abandon, si un moine du Mont-Athos, le vénérable Cyrille, à la fois chroniqueur et poète, n’était venu s’y installer il y a une vingtaine d’années et n’avait entrepris de cataloguer ces richesses. Il ne paraît pas toutefois que le bon Cyrille, malgré les éloges que lui donne M. Tischendorf, ait envié au savant européen l’honneur de ses trouvailles. Entre un bibliothécaire du Mont-Athos et un antiquaire théologien de Leipzig il y a quelque distance. Cyrille n’appréciait pas toujours exactement les trésors qu’il avait sous la main ; il aimait mieux illustrer de ses vers les portes et les murs du couvent que, de confronter des manuscrits illisibles. Le champ était donc toujours ouvert, et M. Tischendorf n’avait pas de concurrent à redouter parmi ses hôtes.

Au milieu de recherches infructueuses d’abord, mais que soutenait une espérance opiniâtre, il voulut refaire pour la troisième fois l’ascension du Sinaï. C’est une préparation qui en valait bien une autre : visiter la montagne sanctifiée par tant d’augustes souvenirs et consacrée par les prières de tant de générations, n’était-ce pas évoquer le génie du lieu ? L’imagination, je ne dirai pas superstitieuse, mais certainement mystique et poétique du grand paléographe n’est pas insensible à ces harmonies des choses. Il gravit donc en savant et en poète les divers sommets du Sinaï. Le savant notait pas à pas tout ce qui a été sujet de controverse pour les historiens de la Bible depuis un demi-siècle, et, comparant les textes sacrés à la physionomie des lieux, vérifiant sur place les opinions de Robinson ou de Titus Tobler, il combinait d’avance un des plus curieux chapitres de son voyage. Le poète ou du moins le chercheur exalté aspirait à pleins poumons le souffle puissant de l’éternité biblique.


« Ce qui m’environne ici aussi loin que mes regards peuvent porter n’a pas d’analogue sur la terre. C’est un désert de rochers le plus sublime et le plus grandiose qui se puisse voir. A des lieues de profondeur et presque de tous côtés se dressent des masses de granit entremêlées de gouffres ou d’arêtes, sombres masses où pas un bois, pas un champ, pas un pré, pas même le fil argenté d’un ruisseau ne fait apparaître le sourire de la végétation. Image de rudesse et de sublimité tout ensemble, image de la gravité qui écrase ! Aucun signe de floraison, aucune trace de dépérissement ne signale ici la marche des années ; on dirait que le temps s’est arrêté sur