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menter sa fortune et ses libertés ! Quant aux « ennuis » qu’avait causés la Germanie avec son Disgustenbourg, ils étaient aussitôt oubliés qu’avoués, et le 28 juillet, — la veille même du jour où le Danemark écrasé signait les préliminaires de Vienne, — lord Russell déclarait au banquet du lord-maire « que l’attitude de l’Angleterre n’avait jamais été plus fière, que son influence sur les affaires du monde n’avait jamais été plus grande qu’à l’heure présente !… » — « Être grand, a cependant dit le sublime tragique anglais, être vraiment grand, ce n’est pas seulement remuer de grosses affaires ; c’est savoir défendre jusqu’à un brin de paille et à outrance, alors que l’honneur est en jeu… » Et comment ne pas saluer en passant le génie vraiment divinatoire de Shakspeare, qui a su mettre précisément dans la bouche d’un prince fictif du Danemark des paroles d’une application si nette et si directe à la Grande-Bretagne de nos jours ?

La dernière tentative de la France avait échoué, et avec elle s’était évanoui aussi le dernier espoir du Danemark. Il est vrai que les appréhensions nées des conciliabules des trois souverains du Nord ne tardèrent pas non plus à s’apaiser, sans toutefois complètement disparaître. Il n’est pas douteux que certains arrangemens furent pris à Kissingen et à Carlsbad au sujet d’une politique commune dans les provinces polonaises pour l’avenir ; mais il n’y eut point de coup d’éclat ni de stipulations précises pour toutes les « questions pendantes. » C’est que les exigences étaient trop grandes de part et d’autre ; c’est que M. de Bismark de son côté tenait à « consolider » sa conquête sur l’Eider et à évincer doucement « le copossesseur ; » c’est enfin que notre temps, il faut bien le dire, semble être non moins inerte pour la grandeur dans le mal que pour la grandeur dans le bien. La diplomatie française résolut elle-même d’attendre les événemens et de laisser passer les velléités de coalition. Inertia sapientia, disait à ce moment un personnage auguste, et il n’est pas jusqu’à cette convention au sujet de Rome, à laquelle on commençait à penser dès lors, qui ne doive être comptée parmi les mesures de prudence plutôt que de vigoureuse initiative. De toutes les « questions pendantes » en effet, la question romaine était la moins propre à resserrer, la plus capable même de relâcher les liens entre ces cabinets du Nord, dont l’un est catholique, l’autre protestant, et le troisième orthodoxe. C’est par de telles habiletés qu’on est arrivé à empêcher l’alliance de se manifester in actu, bien qu’elle n’eût cessé de subsister in potentïa. Quant au Danemark, son arrêt était prononcé depuis longtemps. « Je suis sûr, disait M. Drouyn de Lhuys au comte Moltke-Hvitfeldt (dépêche du 12 juillet), que, dans la situation actuelle des affaires, il est de votre propre intérêt que vous vous adressiez directement à l’Allemagne.