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de l’Asie centrale, de Bokhara et de Tachkend, où elles ne cessent depuis de s’avancer. Eh bien ! la peur causée par la réapparition du nom de la Pologne dans les conseils de l’Europe avait été si grande et avait laissé un souvenir si amer, l’exaspération nationale du peuple moscovite avait été poussée si loin, que le cabinet de Saint-Pétersbourg était prêt à sacrifier à ce sentiment plus d’une considération politique comme il y avait déjà sacrifié le port de Kiel. Le renouvellement solennel de la convention de München-Graetz, une signification hautaine et péremptoire aux auteurs des notes et des remontrances de 1863, déclarant que la question polonaise n’était point et ne saurait plus jamais devenir une question européenne, qu’elle était du domaine exclusif des trois puissances copartageantes et sujette à tous les arrangemens ultérieurs qu’elles pourraient trouver dans leur intérêt de prendre, — un pareil coup d’éclat tentait alors l’imagination et l’orgueil des hommes politiques de la Russie, et c’étaient là les propositions que l’empereur Alexandre essayait de faire réussir pendant son voyage en Allemagne.

Le gouvernement français s’émut devant l’œuvre qui se tramait à Berlin, à Kissingen et à Carlsbad, et qui ne pouvait manquer d’avoir aussi ses conséquences sur les bords du Rhin et du Mincio ; il se demanda s’il ne serait point possible d’opposer à cette coalition une alliance sérieuse et éclatante avec l’Angleterre, si les libéraux de la Grande-Bretagne ne partageraient pas son émotion en présence du rétablissement projeté de la sainte-alliance, — et puisque le Danemark luttait encore et que le parlement bouillonnait d’amertume et de dépit, s’ils ne se décideraient pas, à cette dernière heure, à faire quelque chose de sérieux ? Les fameux extraits de dépêches publiés à ce moment même (2 juillet) par le Morning Post semblaient venir à point pour donner le branle à l’opinion ; le cabinet des Tuileries attacha à ces révélations une valeur que ne leur prêtait que trop réellement l’ensemble de la situation ; mais il en espéra aussi une impulsion sur l’esprit public en Angleterre qui ne s’est guère produite, et qu’il était même assez étrange d’attendre. Quoi qu’il en soit, il n’est point douteux que la France n’ait fait quelque tentative du côté du cabinet de Saint-James vers la fin de juin et les premiers jours de juillet. « On m’assure, écrivait à son gouvernement M. Torben Bille, le ministre danois à Londres, en date du 6 juillet[1], que des avances plus ou moins directes ont été récemment faites par le cabinet de Paris pour amener une entente intime, ou même une alliance, avec le cabinet de Londres, en face de la coalition probable des trois cours du Nord. Le cabinet de Paris désire, dit-on, un accord pour toutes les éventualités générales

  1. Les dépêches danoises et suédoises qui sont citées dans la suite sont toutes empruntées aux papiers d’état communiqués au rigsraad.