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de renouveler la proposition tant de fois déclinée, et cela juste au moment où l’incident Brunnow dans la conférence du 2 juin, où l’entrevue prochaine et annoncée déjà, des trois souverains du Nord à Kissingen, révélaient si bien et aux plus aveugles l’entente parfaite des cours de la sainte-alliance ! Dans sa dépêche au prince de La Tour d’Auvergne du 10 juin, dont il a été déjà parlé plus haut, M. Drouyn de Lhuys prit la peine d’expliquer pour la dernière fois au chef du foreign office, qu’une démonstration maritime à laquelle participerait la France tournerait très probablement à la guerre, que la guerre, si elle éclatait, serait des plus sérieuses, et pour la dernière fois aussi il demanda si dans ce cas l’Angleterre serait disposée à prêter au gouvernement de l’empereur un appui illimité ? Quant à « l’effet moral » dont lord John espérait tant, le cabinet des Tuileries ne put s’empêcher de faire un douloureux retour sur un passé encore récent et saignant, et on entendit de nouveau le refrain triste et saisissant qui clôt presque toujours chaque phase décisive de ces incessantes négociations entre la France et l’Angleterre au sujet du Danemark. « Avant le résultat regrettable qu’ont eu nos démarches communes dans l’affaire de Pologne, — ainsi finissait la dépêche française du 10 juin, — l’autorité des deux puissances n’avait subi aucune atteinte, elles pouvaient l’exposer sans hésitations ; mais aujourd’hui des paroles non suivies d’effet et des manifestations vaines seraient fatales à leur dignité… »

Dès lors il devint évident pour les hommes d’état britanniques qu’ils ne sauraient plus arrêter par des palliatifs la marche triomphante de M. de Bismark. Dans la réunion de la conférence du 13 juin, ils cédèrent encore une nouvelle portion du Slesvig et proposèrent la ligne de Gelting-Bredsledt comme frontière entre l’Allemagne et le Danemark ; mais ils furent déboutés. Le débat ne portait cependant presque plus que sur une simple bande de terre, le différend était concentré dans les plus étroites limites. La France (18 juin) émit son vœu constant et philosophique, elle proposa de consulter les populations dans les districts en litige, ce qui n’agréait guère à aucun des gouvernemens intéressés. L’Angleterre, de son côté, opina pour un arbitrage qu’elle destinait évidemment à l’empereur des Français. Les plénipotentiaires allemands accueillirent (22 juin) cette dernière ouverture par une adhésion dérisoire, en demandant une prolongation d’armistice jusqu’à l’hiver et en se réservant la faculté de ne pas acquiescer à la sentence arbitrale. Tous les moyens d’amener un arrangement se trouvaient épuisés, et lord Russell dut enfin clore les conférences (25 juin) et laisser parler le canon… des autres. Malice étrange du sort ! Le même homme d’état qui, au mois de novembre 1863, avait si supérieurement démontré à la France que son projet de congrès n’était qu’une